dimanche 23 octobre 2011

Retour sur les 35 heures

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"La déclaration du Secrétaire d'Etat est passée complètement inaperçue : le sarkoziste canal historique a fait sienne la mesure politique que honnit pourtant son camp. Lefebvre a déclaré qu'il fallait revenir aux 35 heures pour faire baisser le chômage en France !

En fait, pas vraiment, mais presque : il a plutôt affirmé que nous avions un taux de chômage élevé car  "Il faut  dire la réalité : parce qu'on a un taux de natalité beaucoup plus important que beaucoup d'autres pays". J'aime beaucoup le "il faut dire la réalité" de notre Secrétaire d'Etat.

Je l'aime d'autant plus que cela revient à faire des 35 heures une réalité tout aussi substantielle. En effet, l'affirmation du Secrétaire d'Etat se fonde sur la même "théorie" économique : celle qui voit le nombre d'emplois comme un gros gâteau dont la taille est intangible et qu'il est donc d'autant plus difficile -voire impossible- à partager qu'il y a de convives. Ce que nous dit le Secrétaire d'Etat est, en effet, que nous avons des chômeurs parce que le nombre de convives (d'actifs) augmente dans notre pays en raison des naissances nombreuses -alors qu'ailleurs, il stagne (un ailleurs qui se réduit à la seule Allemagne -décidément le seul point de comparaison dont disposent les hommes politiques de droite). Et comme le gâteau (le nombre d'emplois) reste le même, cela fait autant de chômeurs.

C'est très exactement un raisonnement de ce type qui a justifié, du moins pour les plus économiquement naïfs des socialistes, l'adoption des 35 heures, à la fin des années 1990. Car, au moins, les socialistes avaient la vertu d'aller au bout de leur raisonnement : si le problème est que le gâteau (le nombre d'emplois) est fixe, et que le nombre de convives augmente, alors il n'y a qu'une seule solution : diminuer la taille de la part de gâteau de chacun (baisser le nombre d'heures travaillées) pour que tous puissent manger (qu'il n'y ait plus de chômeurs) 1.

Au contraire, le gouvernement auquel appartient Frédéric Lefbvre a adopté tout une série de mesures qui, d'une part, augmentent le nombre de convives et qui, d'autre part, accroissent la part de gâteau de ceux qui ont la chance d'en avoir une. La réforme des retraites conduit, en effet, à ce que les plus de 60 ans ne partent pas à la retraite, augmentant d'autant le nombre d'actifs. Le maintien de la défiscalisation des heures supplémentaires (au delà des emplois bénéficiant de réduction de charges) conduit les actifs en emploi à travailler des heures qui auraient pu être effectuées par des chômeurs.

Et ceci est d'autant plus cruel qu'en effet, le Secrétaire d'Etat a raison à court terme : lors d'une crise de demande massive, comme celle que traverse notre économie, le nombre d'emploi ressemble à un gros gâteau qui n'augmente pas -la demande étant insuffisante pour inciter les entreprises à accroître leur production, et à embaucher pour cela.

Mais ce raisonnement ne vaut que dans des circonstances exceptionnelles et à court terme. Sur le long terme, le nombre d'emplois s'ajustent globalement au nombre d'actifs. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement : tout actif est par définition capable de travailler et, pour autant que le marché assume sa fonction coordinatrice, il n'y a aucun raison qu'il ne puisse échanger sa production, ou ses capacités productives, avec d'autres acteurs. Plus le nombre d'actifs grandit, plus la production s'accroît : c'est pour cela que le taux de croissance potentielle d'une économie ne dépend que de deux choses : ses gains de productivité et la croissance de sa population active. Le gâteau ne possède pas une taille intangible : il grossit avec le nombre de convives -pour la simple raison que chaque convive en produit sa part.

Et c'est bien ce qui s'est passé en France jusqu'à la crise de 1975. Le problème de la France est le fait que son économie n'a jamais été capable de récupérer, par la suite, durant les phases de croissance rapide, par des créations d'emplois plus importantes que celle de l'augmentation de la population active, les conséquences des périodes de croissance faible ou négative, qui entraînent une croissance du nombre d'emplois plus faible que la population -voire même des destruction d'emplois. Les créations d'emploi soutenues entre 1985-1990 et 1997-2001 n'ont pas compensé les périodes de destruction (1975 ; 1984-1985 ; 1991-1993) ou de faible croissance.

C'est cela qui caractérise en propre l'économie française (et, dans une moindre mesure, les économies européennes), notamment en comparaison avec les Etats-Unis, où ce phénomène ne s'est pas produit (l'économie américaine a même inséré des dizaines de millions de travailleurs immigrés sans difficulté)."

















1. Ce qui n'interdisait pas de soutenir les 35 heures pour d'autres raisons (ce qui était mon cas) -à commencer par le fait qu'il est tout aussi légitime d'utiliser les gains de productivité d'une économie pour travailler moins que pour accroître le pouvoir d'achat, le but ultime de l'économie n'étant pas de faire travailler les individus, mais d'accroître la satisfaction qu'ils tirent des biens et services produits -ce qui peut passer par plus de temps libre.



vendredi 21 octobre 2011

Berlin enterre trop vite l’euro

20 juin 2011, To Vima Athènes

En publiant l'image d'un drapeau grec recouvrant le cercueil de la monnaie unique, Der Spiegel dévoile,selon la presse grecque dont le quotidien To Vima, les objectifs cachés de la politique allemande, soit l'hégémonie germanique.
Si la position provocatrice de la Vénus de Milo [en Une de l'hebdomadaire Focus, en 2010] était de mauvais goût, la couverture de l'hebdomadaire Der Spiegel aujourd’hui est une indécence révélatrice des intentions et des objectifs cachés de l’hégémonie de l’Allemagne, pour la Grèce mais aussi pour toute l’Europe.

Quelques jours après le rappel à l'ordre sans précédent de la chancelière Angela Merkel par le président français Nicolas Sarkozy, et ensuite, la pression du président américain Barack Obama, voilà que cette Une scandaleuse montre un drapeau grec recouvrant le cercueil dans lequel repose la monnaie unique.
S'il ne s'agit pas de la voix officielle de Berlin, cette Une révèle cependant le sentiment d’une partie de la classe dirigeante allemande, lectrice de ce journal : l'Allemagne ne souhaite pas accorder de nouvelle aide à la Grèce.
Parmi les "arguments" de l'article du Spiegel, des soi-disant vérités allemandes sont exprimées pour la première fois : la zone euro est composée d’économies qui ne peuvent pas avoir de cohérence en raison de différences structurelles de politique monétaire et économique. Selon le magazine, cette situation évolue désormais et présente un risque des plus élevés pour l'euro et pour l'Europe elle-même.

Une politique égoïste qui brise les peuples

Ce qui n'est évidemment pas mentionné, c'est que tout cela n'est pas uniquement dû à la crise de la dette grecque. Cela est causé, en très grande partie, par la volonté de l’Allemagne d’utiliser la crise grecque comme un levier pour la révision générale de la monnaie unique.
Berlin a montré sa volonté de se distinguer par une politique nationale égoïste qui brise les peuples et les Etats qui ne peuvent pas ou refusent d'y participer. Ceux qui sont incapables de répondre aux exigences allemandes n’ont plus leur place dans la monnaie unique et dans l’Europe.
Le plus frappant est que, exactement au même moment, arrive une voix inattendue d'opposition à la politique allemande qui renverse tout ce que nous savions jusqu’à aujourd'hui de la version "officielle" que tenait nos prêteurs : celle de Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe en personne et Premier ministre luxembourgeois. Dans une interview donnée au quotidien belge La Libre Belgique, Juncker dit des choses qui bouleversent la ligne dominante imposée par Berlin. Il explique, entre autres, que la peur d'une extension de la déstabilisation provoquée non par les "marchés" mais par le peuple constitue désormais une réalité dont nul ne peut prédire où, quand et comment elle finira.
Après la pression des Etats-Unis et de la France, l’Allemagne montre qu’elle perd la bataille pour son hégémonie en Europe et voila ce qui dérange Der Spiegel et ses lecteurs. Une bataille qui consistait surtout en une politique dévastatrice pour la Grèce. 
En fait, les Allemands voulaient mettre fin à un "cauchemar", celui de pays qui ne peuvent les aider à tracer un chemin impérial. Aujourd'hui, ils voient la fin de l'euro, non pas parce que la monnaie unique est véritablement en fin de course, mais parce que meurt ce qu'ils voulaient faire de l’euro.
La seule chose qui leur reste maintenant est de quitter cette zone euro. Peut-être est-ce là le nouveau message caché de cette publication indécente. L'image du Spiegel montre l'euro enterré avec le drapeau grec, mais finalement, ce sont surtout les couleurs noir, rouge et or des fossoyeurs hâtifs que l'on remarque.

Le théâtre de la terreur

LE MONDE| 09.09.11 |


Huit octobre 2001. "Début des bombardements", claironne la manchette du Guardian, d'ordinaire plutôt sobre. "La bataille est engagée", titre en écho le non moins modéré Herald Tribune, reprenant les propos de George W. Bush. Mais engagée contre qui ? Et comment se terminera-t-elle ?

Par exemple avec Oussama Ben Laden dans les fers, l'air plus serein et christique que jamais, comparaissant devant un tribunal composé des vainqueurs, défendu par Johnny Cochrane comme O. J. Simpson avant lui (car il est certain que les frais d'avocat ne lui poseront pas problème) ?

Ou alors avec un Ben Laden réduit en charpie par une de ces bombes intelligentes dont nous parlent constamment les journaux, celles qui tuent les terroristes dans leurs repaires mais épargnent la vaisselle ?

Ou bien existe-t-il une issue à laquelle je n'ai pas pensé, qui nous éviterait de transformer notre ennemi public n°1 en martyr n°1 aux yeux de ceux qui voient déjà en lui un demi-dieu ? Nous devons pourtant le punir. Nous devons le traduire en justice. Comme tout être sensé, je ne vois pas d'autre solution. Envoyons nourriture et médicaments, fournissons de l'aide humanitaire, rassemblons les réfugiés affamés, les orphelins mutilés et les morceaux de corps humains - pardon, les "dommages collatéraux" -, mais nous n'avons pas le choix : Ben Laden et ses sbires doivent être débusqués.

Hélas ! ce que l'Amérique recherche à l'heure actuelle, avant même la vengeance, c'est : plus d'amis et moins d'ennemis.
Or ce que l'Amérique se prépare, comme nous autres Britanniques, c'est : encore plus d'ennemis, parce que, malgré tous les pots-de-vin, les menaces et les promesses qui ont assemblé de bric et de broc cette vacillante coalition, nous ne pouvons pas empêcher un terroriste kamikaze de naître chaque fois qu'un missile mal guidé rase un village innocent, et personne ne peut nous dire comment sortir du cercle vicieux désespoir-haine-vengeance.
Ce qui peut nous apporter une lueur d'espoir, c'est que les clichés et les images télévisuelles stylisés de Ben Laden révèlent un homme au narcissisme exacerbé. Qu'il pose avec sa kalachnikov, assiste à un mariage ou lise un texte sacré, le moindre de ses gestes complaisants trahit une conscience aiguë de la caméra propre aux acteurs. Sa grande taille, sa beauté, sa grâce, son intelligence et son magnétisme sont des qualités formidables tant qu'on n'est pas le fugitif le plus recherché de la planète, auquel cas ce sont des handicaps difficiles à cacher.

Mais à mes yeux blasés, ce qui le domine, c'est sa vanité masculine presque irrépressible, son goût de la représentation, sa passion inavouée pour les feux de la rampe. Peut-être ce trait de caractère signera-t-il sa perte, l'attirant vers un dernier acte théâtral d'autodestruction, produit, réalisé, écrit et joué jusque dans la mort par Oussama Ben Laden soi-même.

Certes, selon les règles établies de la lutte terroriste, cette guerre est perdue depuis longtemps - par nous. Quelle victoire pourra jamais compenser les défaites déjà subies, sans parler de celles à venir ? "La terreur, c'est du théâtre", m'a affirmé posément un activiste palestinien en 1982 à Beyrouth. Il commentait le massacre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, mais il aurait aussi bien pu être en train de parler du World Trade Center et du Pentagone. Bakounine, le chantre de l'anarchisme, aimait évoquer la "propagande de l'acte". On ne saurait imaginer actes de propagande plus spectaculaires et marquants.

Aujourd'hui, Bakounine est mort et enterré et, au fin fond de sa grotte, Ben Laden doit se frotter les mains en nous regardant nous engager dans ce processus qui réjouit au plus haut point les terroristes de son espèce : nous nous empressons de renforcer nos effectifs de police et de renseignement et de leur donner des pouvoirs accrus, nous mettons entre parenthèses les droits civiques élémentaires et restreignons la liberté de la presse, nous imposons de nouveaux tabous journalistiques et une censure occulte, nous nous espionnons nous-mêmes et, dans les pires extrêmes, nous profanons les mosquées et harcelons de pauvres concitoyens parce que leur couleur de peau nous effraie.

Toutes ces peurs que nous partageons (vais-je oser prendre l'avion ? Ne devrais-je pas dénoncer à la police le couple étrange qui habite au-dessus ? Ne vaudrait-il pas mieux éviter de passer en voiture devant les ministères de Whitehall ce matin ? Mon enfant est-il rentré de l'école sain et sauf ? Ai-je perdu d'un coup mes économies de toute une vie ?) sont précisément les peurs que nos agresseurs souhaitent nous voir nourrir.

Jusqu'au 11 septembre, les Etats-Unis étaient trop heureux de fustiger Vladimir Poutine et sa boucherie tchétchène. Il s'entendait dire que la violation par les Russes des droits de l'homme dans le Nord-Caucase - et nous parlons là de torture généralisée et meurtres à l'échelle d'un génocide, personne ne le conteste - faisait obstacle à la normalisation des relations de son pays avec l'OTAN et les Etats-Unis. Certaines voix, dont la mienne, allaient jusqu'à suggérer que Poutine rejoigne Milosevic à La Haye - les deux faisaient la paire. Eh bien, c'est terminé, tout ça ! La construction de la grande coalition nouvelle donnera à Poutine une odeur de sainteté, comparé à certains de ses petits camarades.

Qui se rappelle aujourd'hui le tollé contre ce qui était perçu comme un colonialisme économique des pays du G8 ? Ou contre l'exploitation du tiers-monde par des multinationales incontrôlables ? Prague, Seattle et Gênes nous ont offert des images dérangeantes de crânes fracassés, de verre brisé, de violence collective et de brutalités policières, qui ont beaucoup choqué M. Blair. Pourtant, c'était là un débat légitime, jusqu'à ce qu'il soit noyé dans une vague de patriotisme habilement récupéré par l'Amérique des grandes entreprises.

Mentionnez Kyoto, ces temps-ci, et vous risquez de vous faire taxer d'antiaméricanisme. Comme si nous étions entrés dans un monde orwellien où notre loyauté en tant que camarades de lutte se mesure à l'aune de notre propension à évoquer le passé pour expliquer le présent. Suggérer que les récentes atrocités s'inscrivent dans un contexte historique revient implicitement à les excuser. Si on est dans notre camp, on ne fait pas ça. Si on le fait, c'est qu'on est dans le camp adverse.

Voici dix ans, j'assommais tout le monde avec mon idéalisme en racontant à qui voulait bien m'entendre que nous étions en train de rater une occasion unique de transformer le monde, maintenant que la guerre froide était derrière nous. Où était le nouveau plan Marshall ?, plaidais-je. Pourquoi les jeunes hommes et femmes de l'American Peace Corps ou du Voluntary Service Overseas et leurs homologues européens n'affluaient-ils pas par milliers dans l'ex-Union soviétique ? Où se trouvait l'homme d'Etat de stature internationale, l'homme providentiel doué de l'inspiration visionnaire susceptible de nous désigner les véritables ennemis de l'humanité, aussi peu ragoûtants soient-ils : pauvreté, famine, esclavage, tyrannie, drogue, conflits ethniques, racisme, intolérance religieuse, cupidité ?
Et voilà que, du jour au lendemain, grâce à Ben Laden et ses lieutenants, tous nos dirigeants sont devenus des hommes d'Etat de stature internationale, faisant de beaux discours d'inspiration visionnaire dans de lointains aéroports qui leur servent de tremplins électoraux.

Le terme malheureux de "croisade" a été prononcé, et pas seulement par le signor Berlusconi. A l'évidence, parler de croisade relève d'une savoureuse méconnaissance de l'histoire. Berlusconi se proposait-il vraiment de libérer les lieux saints de la chrétienté et de pourfendre les infidèles ? Et Bush avec lui ? Et serait-il déplacé de ma part de rappeler que nous les avons perdues, les croisades ? Mais tout est pour le mieux : la petite phrase du signor Berlusconi a été déformée, et la référence présidentielle devient caduque.

Pendant ce temps-là, M. Blair joue à plein son nouveau rôle de vaillant porte-parole de l'Amérique. Blair s'exprime d'autant mieux que Bush s'exprime mal. Vu de l'étranger, dans ce duo, c'est Blair qui fait figure de dirigeant expérimenté et inspiré jouissant chez lui d'une assise populaire inébranlable, alors que Bush - qui ose encore le dire, aujourd'hui ? - s'est fait élire dans des conditions plus que douteuses. Mais de quoi est-il représentatif au juste, ce Blair, dirigeant expérimenté ? L'un et l'autre sont actuellement au plus haut dans les sondages mais, s'ils ont bien appris leurs leçons d'histoire, tous deux sont forcément conscients qu'une cote de popularité élevée au premier jour d'une opération militaire risquée à l'étranger ne garantit en rien une victoire aux élections.

A combien de cadavres de GIs résistera le soutien populaire de M. Bush ? Certes, après l'horreur des attentats sur le sol américain, le peuple crie vengeance, mais il atteindra vite son seuil de tolérance à la vue du sang versé par d'autres compatriotes.

A en croire l'Occident tout entier (hormis quelques voix discordantes en Grande-Bretagne), M. Blair est l'éloquent chevalier blanc de l'Amérique, le loyal et intrépide protecteur de cet enfant si fragile né dans les flots de l'Atlantique : la "relation privilégiée". Savoir si cela lui attirera les faveurs de l'électorat est une autre affaire, parce qu'il a été élu pour sauver le pays du déclin et non d'Oussama Ben Laden.
L'Angleterre qu'il mène au combat est un monument érigé à soixante ans d'incurie administrative. Nos systèmes de santé, d'éducation et de transports sont exsangues. Il est de bon ton ces temps-ci de dire qu'ils sont dignes de ceux du tiers-monde, mais certains pays du tiers-monde s'en sortent beaucoup mieux que la Grande-Bretagne. L'Angleterre que gouverne Blair est rongée par le racisme institutionnalisé, la domination de l'homme blanc, une police désorganisée, une justice engorgée, une richesse privée indécente et une pauvreté collective honteuse et parfaitement évitable. Lors de sa réélection, marquée par un abstentionnisme record, Blair a reconnu l'existence de ces maux et s'est humblement engagé à les éradiquer.

Alors, quand vous captez les vibrants trémolos dans sa voix de va-t-en-guerre malgré lui et vous laissez gagner par sa rhétorique bien huilée, soyez aussi réceptif à l'avertissement subliminal qu'il vous envoie peut-être : sa mission envers l'humanité est si capitale qu'il vous faudra attendre encore un an pour votre opération urgente à l'hôpital et bien plus pour avoir droit à des trains ponctuels et sûrs. Je ne suis pas sûr que ce soit avec ça qu'il remporte les législatives dans trois ans. A le regarder et à l'écouter, je ne peux m'empêcher de penser qu'il vit dans un rêve et avance sur une planche qu'il se savonne lui-même.
J'ai employé le mot "guerre". Je me demande si Blair et Bush ont jamais vu un enfant déchiqueté par une explosion ou un camp de réfugiés sans défense atteint par une bombe à fragmentation. Nul besoin d'avoir été témoin de ce genre d'horreurs pour faire un bon chef des armées, et je ne souhaite cette expérience ni à l'un ni à l'autre. Mais il n'en reste pas moins que j'ai peur chaque fois que je vois le visage d'un politicien novice illuminé par une aura guerrière et que j'entends sa voix distinguée m'exhorter au combat.
Et s'il vous plaît, monsieur Bush, je vous en supplie, monsieur Blair : laissez Dieu en dehors de tout ça. Imaginer que Dieu s'implique dans des guerres revient à lui imputer les pires folies des hommes. Si nous le connaissons un tant soit peu, ce que je me garderais bien d'affirmer, Dieu préfère les largages de nourriture efficaces, les équipes médicales dévouées, le confort matériel et des tentes solides pour les sans-abri et les miséreux. Dieu préfère que nous fassions amende honorable pour nos péchés passés et que nous nous employions à les racheter. Il nous préfère moins cupides, moins arrogants, moins prosélytes, moins méprisants à l'égard des déshérités.
Ce n'est pas un nouvel ordre mondial, pas encore, et ce n'est pas la guerre de Dieu. C'est une opération de police atroce, nécessaire, dégradante, visant à pallier la faillite de nos services de renseignement et l'aveuglement politique avec lequel nous avons armé et utilisé les intégristes islamistes afin qu'ils luttent contre l'envahisseur soviétique, pour leur abandonner ensuite un pays dévasté et sans gouvernement. En conséquence, il nous incombe, hélas, de traquer et punir une bande de fanatiques religieux néo-médiévaux qui tireront de cette mort dont nous les menaçons une dimension mythique.

Et une fois que ce sera fini, ce ne sera pas fini. L'émotion suscitée par l'élimination de Ben Laden grossira les rangs de ses armées de l'ombre au lieu de les rompre, ainsi que l'arrière-garde de sympathisants silencieux qui leur fournissent le soutien logistique. L'air de rien, entre les lignes, on nous invite à croire que l'Occident s'intéresse avec un regain de conscience au problème des pauvres et des sans-abri de cette planète. Et peut-être en effet que de la peur, de la fatalité et de la rhétorique est née une moralité politique d'un genre nouveau. Mais quand les armes se tairont pour laisser place à une paix apparente, les Etats-Unis et leurs alliés resteront-ils fidèles au poste ou, comme à la fin de la guerre froide, raccrocheront-ils leurs godillots pour retourner cultiver leurs jardins ? Des jardins qui ne seront plus jamais les havres d'antan.

Tribune publiée dans Le Monde, du 18 octobre 2001
Traduit de l'anglais par Isabelle Perrin © David Cornwell 2001.

De la non-innéité du jugement de goût - habitus de classe

Voici une citation extraite de Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979, p 83, qui illustre de façon exemplaire la non-innéité du jugement de goût.

Dans La Distinction, mais surtout dans L’Amour de l’art (1966, Collection « Le sens commun », Editions de Minuit) Bourdieu démythifie la notion de goût inné. Avec L’Amour de l’art, Bourdieu et Darbel veulent montrer que les différences d’attitudes des hommes face aux œuvres d’art ne sont pas le résultat de facultés et de prédispositions innées.

« Ce qui s’acquiert par la fréquentation quotidienne des objets anciens ou par la pratique régulière des antiquaires et des galeries, ou, plus simplement, par l’insertion dans un univers d’objets familiers et intimes “qui sont là, comme dit Rilke, sans arrière-sens, bons, simples, certains”, c’est évidemment un certain “goût” qui n’est autre chose qu’un rapport de familiarité immédiate avec les choses de goût ; c’est aussi le sentiment d’appartenir à un monde plus poli et plus policé, un monde qui trouve sa justification d’exister dans sa perfection, son harmonie, sa beauté, un monde qui a produit Beethoven et Mozart et qui reproduit continûment des gens capables de les jouer et de les goûter ; c’est enfin une adhésion immédiate, inscrite au plus profond des habitus, aux goûts et aux dégoûts, aux sympathies et aux aversions, aux phantasmes et aux phobies, qui, plus que les opinions déclarées, fondent, dans l’inconscient, l’unité de classe. »

dimanche 2 octobre 2011

RSA : 10.000 contrats de 7 heures et autant de chômeurs en moins

Contes Publics, 23/09/2011, Le blog de Claire Guélaud.

La ministre des solidarités, Roselyne Bachelot, a confirmé, vendredi 23 septembre, à Chambéry (Savoie), que des contrats aidés de sept heures par semaine, rémunérés sur la base du smic, seront proposés aux allocataires du revenu de solidarité active (RSA) dans une quinzaine de départements. L'objectif du gouvernement est d'aboutir à 10 000 contrats de ce type d'ici à la fin 2012, d'évaluer le dispositif et, le cas échéant, de le généraliser.

Ces nouveaux contrats aidés, préconisés par Marc-Philippe Daubresse (député UMP du Nord), seront des contrats unique d'insertion (CUI). Jusqu'à présent, les conseils généraux pouvaient en proposer, mais ils n'étaient pris en charge par l'Etat à 95 % qu'à partir de vingt heures d'activité par semaine. Le surcoût, pour l'Etat, des 10 000 CUI de sept heures hebdomadaires sera de 3 millions d'euros.

Le nouveau dispositif est donc avantageux pour les conseils généraux. Il peut permettre aux personnes percevant le RSA de gagner 130 euros par mois en plus (pour les célibataires). Mais il présente aussi un avantage certain pour le gouvernement : faire sortir des statistiques du chômage ceux qui en bénéficieront.

En effet, les allocataires du RSA sont, dans une proportion importante, inscrits à Pôle emploi. En juillet, 474 400  d'entre eux figuraient dans la catégorie A des demandeurs d'emploi, c'est-à-dire les personnes inscrites à Pôle emploi, sans emploi et n'ayant pas exercé d'activité réduite dans le mois précédant leur inscription.

Ceux qui, sans emploi, prendront un CUI de sept heures par semaine (et ils n'auront pas le choix s'il leur est proposé) sortiront immédiatement de la catégorie A des demandeurs d'emploi, celle qui sert de baromètre officiel du chômage, a précisé au Monde Pôle emploi.

Les chiffres du chômage s'en trouveraient alors améliorés à peu de frais. C'est ce que l'on appelle le « traitement  statistique » du chômage. Les gouvernements sont souvent tentés d'y recourir dans les périodes d'augmentation du nombre des demandeurs d'emploi.

Or, l'Unedic a revu à la hausse, le 22 septembre, ses prévisions de chômage : elle s'attend à 36 700 chômeurs de plus dans la catégorie A en 2011 et à 55 500 de plus en 2012. Le nombre total des chômeurs indemnisés par l'assurance chômage passerait de 2 071 000 en 2010 à 2 092 500 cette année et à 2 139 600 en 2012.