samedi 24 septembre 2011

Arnaud Montebourg, le seul antilibéral

Le Monde, 22 Septembre 2011

Dans un parti, le principe d'une primaire ouverte est une mauvaise chose : à quoi bon un parti si son leader est choisi en dehors de lui dans une nébuleuse de gauche où toutes les motivations sont possibles, y compris les plus mauvaises - choisir le pire en face pour conserver les chances de celui qu'on soutient par ailleurs à gauche ? Mais ce principe a été préféré aux congrès dans lesquels les idées peuvent s'opposer, les forces se mesurer, les alliances se constituer. Dont acte.
On sollicite le peuple de gauche - j'en suis : j'irai donc. Je ne suis pas socialiste, loin de là. Ma gauche idéale est proudhonienne. Mais l'idéal ne fait pas la loi, il indique une direction. Le réel politique français est simple : dans la configuration de la Ve République, tout a été fait pour évincer le minoritaire et créer une majorité sur le mode bipolaire - au sens mathématique et non clinique du terme...
Depuis François Mitterrand en 1983 (le tournant de la rigueur), le choix oppose désormais une gauche libérale, la sienne, et une droite libérale. Gauche et droite antilibérales se trouvent donc reléguées dans les marges. Elles servent de force d'appoint.
Ma gauche est antilibérale. Et je suis unitaire : seule l'union des gauches antilibérales peut faire de telle sorte que, dans un deuxième tour, la gauche capable de gagner ne soit pas celle qui a créé l'euro, le traité de Maastricht et accéléré la paupérisation en Europe, mais une gauche ayant le souci des pauvres, des oubliés, des sans-grade, des victimes du libéralisme, des femmes, des chômeurs, des jeunes sans emploi.
Comme jadis on crut, avec Jean-Paul Sartre, que le marxisme était l'horizon indépassable de l'époque, l'élite ayant pignon sur rue dans les médias psalmodie sans relâche que le libéralisme constitue un même horizon indépassable. C'est faux. Le libéralisme est une idéologie dont l'utopie fait des dégâts considérables avec des victimes et des morts jamais comptabilisés - les suicides, l'alcoolisme, la drogue, la violence, les antidépresseurs, la délinquance, la criminalité en procèdent largement.
Cette religion aussi sotte que le marxisme en son temps affirme que, le marché faisant la loi, une régulation naturelle s'ensuit qui, à terme, produit le bonheur et la prospérité de tous. Or, chacun le voit bien, le marché qui fait la loi, c'est la dictature de l'argent et le règne des mafias. Le jardin promis accouche de la jungle et non d'un Versailles entretenu par une main invisible, avatar déiste des libéraux du XVIIIe siècle.
Tous les candidats à la primaire socialiste, sauf un, communient dans cette religion libérale. On peut bien essayer de chercher des différences entre les six prétendants, on ne trouvera que des looks à opposer - François Hollande l'a bien compris qui annonce s'être "préparé" à diriger la France en renonçant à son humour et en faisant un régime alimentaire ! Un programme subliminal pour la nation : arrêter de rigoler et se serrer la ceinture...
Aujourd'hui, avec la logique libérale, le marché fait la loi sur la totalité du globe. Désormais les choses sont simples et nous n'avons le choix qu'entre deux hypothèses : soit on persiste dans la religion libérale, dès lors, il faut accepter une compétition universelle avec le travail des enfants, des vieillards, des malades, des femmes, des valides, tous mobilisés dans ces bidonvilles de la production planétaire qui pullulent en Chine, en Inde, au Maghreb.
A partir de ce moment, il nous faut dire adieu à la protection sociale française (la Sécurité sociale, la retraite), à l'éducation nationale gratuite, laïque et obligatoire, au service public (la poste, la SNCF), à un mode de vie (les loisirs, la durée du temps de travail, les congés, les infrastructures culturelles).
Soit on sait que le libéralisme est une utopie concrète et dangereuse et l'on opte pour une gauche antilibérale, autrement dit une gauche de gauche. Dans la primaire socialiste, seul Arnaud Montebourg campe sur cette position. S'il était le candidat du Parti socialiste, lui seul obtiendrait une alliance avec le Front de gauche (pour lequel je voterai au premier tour de la présidentielle) qui a réussi, déjà, à enclencher une logique unitaire avec le Parti de gauche, le PCF et la Gauche unitaire.
Ce qui m'intéresse est moins la somme de ces trois composantes que la dynamique obtenue. Arnaud Montebourg pourrait contribuer à cristalliser cette gauche antilibérale susceptible de faire une première révolution : se retrouver au second tour de l'élection présidentielle.
Michel Onfray, philosophe, fondateur, en 2002, de l'Université populaire de Caen

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