samedi 10 septembre 2011

Les tourments de la reconstruction

Rencontrant Larry Silverstein le 4 août lors d'une présentation de l'état d'avancement du chantier du futur World Trade Center (WTC) - dont la société immobilière qui porte son nom a la responsabilité, tout comme le mémorial que Barack Obama doit inaugurer le 11 septembre -, nous lui avions demandé quel était l'impact de la crise sur son entreprise et sur le quartier.
L'homme était resté évasif, sur le mode "ah, la crise, grand malheur, tout le monde devra faire des efforts". Grand malheur, en effet : le lendemain, Port Authority, l'organisme public qui gère toutes les infrastructures de transport de et vers la ville, annonçait une augmentation de 50 % des abonnements aux points de péage des ponts et tunnels menant à la Grosse Pomme, et de 88 % pour les péages ponctuels. Les tarifs devraient encore être augmentés de 12 % d'ici à 2014. Il en coûtera alors 268 dollars (186 euros) par mois à un salarié du New Jersey travaillant à New York pour pouvoir emprunter quotidiennement le pont George-Washington (ils sont environ 100 000 à le faire pour venir travailler). La crise ? Evidemment...
Sauf que certains New-Yorkais commencent à trouver que la crise a aussi bon dos. Certes, les gouverneurs des Etats de New York et du New Jersey, autorités de tutelle de Port Authority, assainissent drastiquement leurs budgets, réduisant les dépenses et augmentant les tarifs de leurs services.
Mais pour faire taire la grogne de leurs contribuables face à l'augmentation perpétuelle des coûts du pharaonique chantier du nouveau World Trade Center et de son environnement, les responsables de Port Authority s'étaient engagés, en 2010, à ce que le nouvel ensemble - sept tours, un musée, des jardins, un centre commercial sur 4,5 hectares et des parkings, un hub ferroviaire et des voies de transit routier souterrains, etc. - ne génère aucun surcoût aux péages des six ponts et tunnels d'accès à la ville. Promesse non tenue.
Motif : le surcoût de la seule gare atteint le milliard de dollars. La totalité du projet coûtera 3 à 5 milliards de dollars de plus qu'initialement prévu. Les sept tours devraient être achevées en 2016. La principale, dite "1 WTC", qui doit être terminée fin 2013, sera la plus chère à la construction de l'histoire. Elle monte déjà au-delà du 80e étage et sa construction, jusqu'au 104e, grimpe au rythme d'un par semaine.
Elle ajoutera 240 000 m2 de bureaux dans une ville où les prix sont devenus inabordables, où les locaux vides se multiplient et où le secteur financier licencie actuellement en grand. En mai et juin, Wall Street a supprimé la totalité des emplois qu'il avait recréés depuis la fin de la récession. De plus, il fait migrer ses salariés vers des cieux proches plus accueillants.
Or, lorsque le promoteur, M. Silverstein, proclame que la signature, en mai, du bail de location de la moitié des bureaux de la tour à Condé Nast est le signe que le WTC est définitivement sur la voie du succès, il oublie de signaler que les conditions qu'il a dû accepter pour obtenir le paraphe de cette grande société de presse (éditeur du New Yorker, de Vogue, Vanity Fair, Wired, etc.), pour un loyer de 2 milliards sur vingt-cinq ans, sont loin d'en faire une opération rentable, vu l'énormité des coûts de construction (le double du prix moyen à Manhattan), essentiellement dus à la masse des "fortifications" supposées permettre au bâtiment de soutenir des chocs de très grande ampleur. A New York, il se dit que M. Silverstein est un visionnaire mais pas un philanthrope - et que le contribuable sera appelé à... contribuer.
Pourtant, lorsque le bail de Condé Nast a été signé, le maire, Michael Bloomberg, et le gouverneur de l'Etat, Andrew Cuomo, se sont voulus plus qu'optimistes. "Qui aurait cru que cela fût possible il y a seulement quelques années ?", a lancé le premier magistrat de la ville.
Car le projet s'est longtemps empêtré dans d'innombrables difficultés. Le promoteur et la puissance publique ont connu bien des conflits, admet Bill Baroni, directeur exécutif adjoint de Port Authority, mais "ils l'ont sauvé ensemble", surmontant mille complications. "On a dû contracter vingt-deux assurances différentes", indique M. Silverstein.
Aujourd'hui, le site, une ruche où s'activent 3 500 travailleurs, montre ses premiers atours. Le Mémorial aux victimes et ses fontaines sont en place, des chênes laissent entrevoir les futurs coins ombragés, et les deux immenses piscines noires imaginées par l'architecte Michael Arad pour symboliser, en creux, l'emplacement où s'élevaient les tours jumelles sont une indéniable réussite.
A terme, des milliers de nouveaux commerces et 60 000 habitants qui n'étaient pas là en 2001 peupleront ce quartier. Tout le bas-Manhattan sera concerné. Le WTC sera son "nouveau Rockefeller Center", cette "ville dans la ville" construite dans les années 1930, annonce M. Silverstein, qui imagine déjà lui laisser son nom, qui sait ?
En attendant, qui s'y installe ? Plutôt des familles aisées que de vrais "riches", conformément au souhait de M. Bloomberg, qui, élu après les attentats du 11-Septembre, a vite indiqué qu'il entendait diversifier l'activité et la population du quartier. L'autre profil qui se dessine est plus inattendu. Avant même l'accord avec Condé Nast, le premier signataire d'un bail de longue durée dans la future 1 WCT avait été... la société d'investissements China Center, qui y a loué quatre étages. "Tout le monde veut venir à New York, point de départ pour qui veut se mondialiser. Une fois ici, vous devenez un acteur du jeu", déclarait récemment Xue Ya, son président.
D'autres négociations de cet ordre sont en cours. Et de nombreux "nouveaux magnats" chinois acquièrent des appartements de luxe dans la ville, y compris dans la zone du WTC. Pékin la Rouge au secours de l'archétype du capitalisme financier, qui l'eût cru il y a dix ans, lorsque celui-ci, tétanisé, assistait à l'effondrement de ses tours symboles?
Sylvain Cypel

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