dimanche 2 octobre 2011

L’explosion du pseudo modèle social

Antonina Jeliazkova,  30 septembre 2011, Trud, Sofia
Les émeutes qui ont secoué le village de Katounitsa et plusieurs villes du pays ne sont pas qu’une poussée de fièvre anti-Roms. Elles sont le symptôme d’une société malade, soumise au clientélisme, constate une anthropologue bulgare.

Une foule brûle la maison du chef rom, le "Roi Kiro, village de Katounitsa, 24 septembre 2011. Photo AFP












Ce qui est arrivé à Katounitsa est tout sauf un incident [voir encadré ci-dessous]. Ce n’est pas non plus un cas isolé, mais une tendance destructrice qui se développe de manière endémique à cause de la passivité institutionnelle de ces dernières années. Ce conflit ne doit pas être vu en dehors du contexte politique global en Bulgarie.
Nous n’avons pas de leaders de la nation mais des parapolitiques. Cela change la nature de nos attentes et fausse les espoirs de la société civile. Depuis plusieurs mois que nous sommes en campagne électorale [des élections présidentielle et municipales auront lieu le 23 octobre prochain], nous n’avons pas entendu un seul échange d’idées intéressant sur l’économie, la politique étrangère ou la société. En revanche, les petites intrigues et les coups bas sont foison. La politique bulgare est une émanation des journaux à scandales, et ils se nourrissent mutuellement.

Des milliers de raisons de perdre espoir en la justice sociale

Le dialogue politique est au plus bas. C’est à ce niveau que se trouve également l’exploitation sans vergogne des relations interethniques et interreligieuses dans ce pays. Ces dernières années, aucun des hommes politiques n’a jugé nécessaire de mettre de l’ordre dans les relations entre chrétiens et musulmans, entre les Roms et toutes les autres communautés, ni de proposer des stratégies efficaces pour une intégration réelle des minorités. Parce que l’ensemble de cette élite autoproclamée trouve son compte dans ce statu-quo humiliant qui leur permet de mieux s’accrocher au pouvoir.
Ces tensions sont toujours motivées par des intérêts politiques, surtout en période préélectorale. En Bulgarie, il existe des milliers de raisons de perdre espoir en la justice sociale. Et ce désespoir atteint toutes les couches de la société, des médecins aux poètes en passant pas les paysans. Sont exlus, bien évidemment, les bandits nouveaux riches, les escrocs en gros, les politiciens corrompus et les hauts magistrats. Dans un tel cas de figure, et c’est l’historienne et anthropologue sociale que je suis qui parle, il n’y a rien de plus efficace que de rediriger sa colère vers les minorités, les religions différentes et, tout simplement, ceux qui sont différents.
Bref, en substituant les faux problèmes aux vrais. Les frontières deviennent floues, et il facile de faire passer des erreurs politiques ou des faits de droit commun pour des conflits interethniques, avec des conséquences parfois dramatiques.

L'impossibilité d'abolir les privilèges féodaux locaux

Les barils de poudre comme Katounitsa, il y en a un peu partout en Bulgarie. Chez les Roms, on en est déjà à la troisième ou quatrième génération sans éducation et sans aucune chance sur le marché du travail, et la criminalité grimpe en flèche. De l’autre côté, les sentiments anti-roms dans la société n’ont jamais été aussi virulents ! Les partis politiques, eux, ont perverti les plus pauvres et les marginaux dans la société en les initiant au commerce de voix électorales. C’est ce qui a donné naissance à ces “rois” roms autoproclamés, leaders corrompus des ghettos, s’enrichissant sur le dos de leurs coreligionnaires et vendant leur voix au plus offrant. Ils sont les maîtres absolus de quartiers, villages ou villes sur tout le territoire de la Bulgarie.
Le soit disant “Roi Kiro”, comme une grande partie de sa famille, devrait depuis longtemps croupir en prison pour des crimes allant de la fabrication d’alcool frelaté jusqu’à la traite de femmes et d’enfants. Mais ce n’est pas le cas, parce qu’ils disposent de ressources considérables, de l’argent pour payer en cash les policiers, hommes politiques et magistrats, mais aussi d’un capital de voix de plusieurs milliers d’âmes.
Ce problème n’est pas qu’ethnique, il s’agit d’une maladie nationale. Que dire des toutes ces villes et région “gérées” de facto par des boss mafieux qui tiennent la population en distribuant des privilèges ou en semant la peur ?
Une politique adéquate consisterait tout simplement à faire appliquer la loi : abolir les privilèges de féodaux locaux ; condamner les criminels afin de permettre aux citoyens de s’émanciper, voter, vivre et travailler librement. Mais à l’heure actuelle, cela semble impossible en Bulgarie.

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