jeudi 16 juin 2011

"Descartes" par Henri Lefebvre

Les premiers chapitres tendent à situer l'émergence de la pensée cartésienne dans un processus historique et philosophique (les conditions historiques du cartésianisme). Lefebvre s'intéresse donc aux idées dominantes du XVIème siècle et des périodes précédentes correspondant au Moyen-Age. L'analyse de Lefebvre s'inscrit dans une conception marxiste qui vise aussi à observer l'organisation sociale du pouvoir en place. C'est sur ce point que l'on perçoit l'écho d'une réflexion menée par Michelet à l'égard du Moyen-Age. Lefebvre revient sur les figures politiques du féodalisme, telles que le serf et le vassal qui marquent l'expression d'une structure politique fortement hiérarchisée. Cette analyse s'établit aussi sur la base d'une réflexion sur le pouvoir religieux (ecclésiastique). Selon Lefebvre et Michelet la religion catholique s'est établie selon un « Ordre » strict qui détermine socialement la place de chacun. On y perçoit les notions caractéristiques de la pensée marxiste. Lefebvre s'interroge aussi sur la place de la personne (de l'individu par extension, terme moderne) au sein de la structure sociale, ce qui le place dans un rapport spécifique au Tout. Michelet évoque en ce sens la rupture des représentants de la religion, des théologiens, avec la « base ». La mortification de la nature constitue pour lui un symbole puissant qui démontre la pauvreté d'une idéologie peu innovatrice et imaginative, contrairement aux mythes grecs, romains ou juifs. Ces éléments situent globalement les conditions historiques du cartésianisme. Selon Henri Lefebvre, la conception philosophique de Descartes marque un changement ontologique du point de vue de la conception chrétienne du monde, dans la mesure où la réflexion du philosophe tend à modifier, voire supprimer la hiérarchie des substances, des intermédiaires dans un rapport personnel ou individuel au divin. Descartes modifie en ce sens une structuration des faits entre la conscience individuelle (le "cogito", la "res cogitans" ou substance pensante) et la Vérité, scientifique et absolue. C'est en lui-même, dans sa conscience, qu'il trouve ou croit trouver l'infini. Descartes situe la découverte de la Vérité au coeur de la conscience et tend à prouver que celle-ci ne vient pas de lui-même. Elle est là, pourrait-on dire, apparaissant à l'examen de la conscience. On note aussi la nécessité de revenir sur la traduction de la fameuse proposition: « Cogito ergo sum ». La philosophie cartésienne rompt aussi avec un processus d'analyse syllogistique, basé sur le modèle de catégorisation aristotélicien. (Tout homme est mortel. Socrate est un homme, donc Socrate est mortel). Descartes s'oppose ainsi à une conception théologique et politique linéaire (observable sur un plan vertical) représentée par l'influence des écrits de Saint-Thomas d'Aquin au cours du moyen-âge. On comprend mieux encore, sous cet éclairage, l'impact de la philosophie cartésienne à l'échelle de l'histoire des idées. Il serait intéressant de s'interroger sur les réactions et les conséquences de cette nouvelle pensée, d'ailleurs similaire en certains points à la réforme protestante (ou janséniste), auprès des contemporains de Descartes et surtout des ecclésiastiques. Parmi les objections formulées à l'encontre des Méditations, on compte les écrits du théologien Catérus, qui déduit malicieusement de l'expression cartésienne la conclusion suivante: « Je pense donc je suis; or cette pensée et cet esprit, ou il est par soi-moi-même ou par autrui; si par autrui, celui-là enfin par qui est-il ? S'il est par soi, donc il est Dieu... » (Premières objections contre les Méditations III, V et VI). "Monsieur Descartes se prendrait-il pour Dieu ?", pense-t-on du côté des représentants religieux. Il y aurait là en somme une observation tout à fait critiquable et condamnable pour celui qui chercherait à maintenir l'ordre. La "Méthode" de Descartes est en ce sens révolutionnaire et l'on perçoit depuis ce postulat l'apparition de nouveaux positionnements philosophiques: matérialiste, d'abord pour Spinoza et plus tard les philosophes du XVIIIè, spiritualiste et conservatrice pour les philosophes comme Malebranche ou Leibniz. Le "Cogito" pose un nouveau rapport dans la conception de l'individu (pensant) à la Vérité. Descartes y intègre une « donnée immédiate », objet de la conscience. Il en découle un certain nombre de questions qui porteront sur l'ordonnancement de la réalité. Si l'on pose comme un fait le rapport direct de chaque « individu pensant » avec la vérité, comment établir un ordre de pensée entre les individus et surtout entre les pensées? Si l'ordre ne peut être préexistant à la connaissance, si la pensée qui avance constitue en avançant son ordre, comment fonder en réalité cet ordre? (réflexion posées par Leibniz et Spinoza).

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