dimanche 2 octobre 2011

Le jour où les régimes claniques ont pris le dessus

Courrier International, Dossier URSS, de 1991-2011


En 1991, dédaignés par l'Europe, négligés par la Russie, les républiques soviétiques du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan ont créé de nouveaux Etats pratiquement ex-nihilo.

Au début de cette année, en ouvrant le Helsingin Sanomat, le plus grand quotidien de Finlande, je suis tombée sur une photo saisissante, celle d'un énorme char soviétique sous les chenilles duquel apparaissait une paire de jambes. Accompagnait cette image une interview de deux Lituaniennes qui avaient survécu par miracle à l'entrée des chars soviétiques dans Vilnius, en 1991. 
Cette histoire a littéralement été celle d'une survie physique, celle de la construction d'un pays petit mais uni - la Lituanie - de son adhésion à l'Union européenne et aux structures européennes en tant que membre à part entière. La Lituanie reste pauvre et vulnérable, mais pour elle comme pour les deux autres pays Baltes, l'indépendance a été un tournant décisif. Elle semble désormais installée pour toujours, et malgré tout, malgré les aléas du cours de l'euro et les humiliations que lui impose l'Europe, la Lituanie se sent beaucoup mieux que du temps où elle faisait partie de l'Union soviétique. Sur place, aucune nostalgie.
En Asie centrale, la question de l'indépendance ne se pose pas de la même manière. Là, ce qu'on peut se demander c'est si les choses se sont améliorées durant les deux décennies écoulées. Les dernières années du pouvoir soviétique ont été accompagnées d'un tel chaos qu'aucune personne normalement constituée ne saurait les regretter. Le système soviétique, même si certains disent le contraire, était condamné à s'effondrer un jour ou l'autre. Cela s'est produit plus tôt que ce que beaucoup pensaient, et avec beaucoup plus de fracas que l'avaient envisagé les experts les plus pessimistes. L'onde de choc de cet éclatement a rendu indépendants tous les pays d'Asie centrale [Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizstan], sans que ceux-ci aient eu à se battre  pour l'arracher ou aient connu un nationalisme organisé. Sur place, il n'y avait que le désir de l'intelligentsia de se sentir plus libre, et voilà que soudain, ces "stans" [pays] obtenaient ce qu'ils n'auraient jamais pu espérer, l'indépendance.

Depuis, en l'espace de vingt ans, les pays d'Asie centrale ont remplacé l'ancien système par leurs propres régimes, claniques, corrompus et opaques. Le Kirghizstan est le seul où élections et émeutes populaires répétées ont joué un certain rôle dans la vie politique. Ailleurs, tout se déroule en coulisse, par le biais de liens d'amitié, de corruption et de relations familiales. La justification tacite de cet état de fait est la suivante : "Gardons les anciens dirigeant qui ont déjà volé tant et plus, un nouveau pouvoir pourrait être pire". Aujourd'hui, après toutes ces années, il est facile de dire que l'Asie centrale aurait eu besoin qu'on lui accorde plus d'aide et d'attention au début des années 1990. Mais à cette époque, l'Europe et les Etats-Unis considéraient comme primordial de régler la situation d'une Yougoslavie en train d'imploser. L'ex-URSS était alors vue comme un trou noir, une vaste pagaille dont c'était à la Russie de s'occuper. Or, en 1991, elle n'en avait pas la capacité. C'est ainsi que les pays d'Asie centrale ont eu une opportunité en or, une chance de bâtir ex nihilo des Etats indépendants. Ils ont à la fois brillamment réussi et échoué. 

Visiter Astana [la nouvelle capitale du Kazakhstan] constitue un vrai choc. Mais toute cette pompe ne permet pas de dissiper un sentiment de malaise. On se retrouve dans une sorte de Manhattan posée au milieu des steppes, et où les prix sont exorbitants. C'est une ville pour privilégiés. Le Kazakhstan est devenu une source de gêne pour l'Occident. En 2007, lorsque j'ai émis des réserves sur le fait qu'il prenne [pour une année] la tête de l'OSCE [ce qui s'est produit en 2010], les spécialistes m'ont rétorqué qu'il fallait essayer de lui donner une chance. On a prétendu que la présidence de l'OSCE inciterait les Kazakhs à entreprendre des réformes démocratiques. On a vu le résultat. Nazarbaev et son entourage ne semblent pas avoir la moindre intention de réformer le pays. 

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