dimanche 23 octobre 2011

Retour sur les 35 heures

http://rationnelsansfinalite.blogspot.com/

"La déclaration du Secrétaire d'Etat est passée complètement inaperçue : le sarkoziste canal historique a fait sienne la mesure politique que honnit pourtant son camp. Lefebvre a déclaré qu'il fallait revenir aux 35 heures pour faire baisser le chômage en France !

En fait, pas vraiment, mais presque : il a plutôt affirmé que nous avions un taux de chômage élevé car  "Il faut  dire la réalité : parce qu'on a un taux de natalité beaucoup plus important que beaucoup d'autres pays". J'aime beaucoup le "il faut dire la réalité" de notre Secrétaire d'Etat.

Je l'aime d'autant plus que cela revient à faire des 35 heures une réalité tout aussi substantielle. En effet, l'affirmation du Secrétaire d'Etat se fonde sur la même "théorie" économique : celle qui voit le nombre d'emplois comme un gros gâteau dont la taille est intangible et qu'il est donc d'autant plus difficile -voire impossible- à partager qu'il y a de convives. Ce que nous dit le Secrétaire d'Etat est, en effet, que nous avons des chômeurs parce que le nombre de convives (d'actifs) augmente dans notre pays en raison des naissances nombreuses -alors qu'ailleurs, il stagne (un ailleurs qui se réduit à la seule Allemagne -décidément le seul point de comparaison dont disposent les hommes politiques de droite). Et comme le gâteau (le nombre d'emplois) reste le même, cela fait autant de chômeurs.

C'est très exactement un raisonnement de ce type qui a justifié, du moins pour les plus économiquement naïfs des socialistes, l'adoption des 35 heures, à la fin des années 1990. Car, au moins, les socialistes avaient la vertu d'aller au bout de leur raisonnement : si le problème est que le gâteau (le nombre d'emplois) est fixe, et que le nombre de convives augmente, alors il n'y a qu'une seule solution : diminuer la taille de la part de gâteau de chacun (baisser le nombre d'heures travaillées) pour que tous puissent manger (qu'il n'y ait plus de chômeurs) 1.

Au contraire, le gouvernement auquel appartient Frédéric Lefbvre a adopté tout une série de mesures qui, d'une part, augmentent le nombre de convives et qui, d'autre part, accroissent la part de gâteau de ceux qui ont la chance d'en avoir une. La réforme des retraites conduit, en effet, à ce que les plus de 60 ans ne partent pas à la retraite, augmentant d'autant le nombre d'actifs. Le maintien de la défiscalisation des heures supplémentaires (au delà des emplois bénéficiant de réduction de charges) conduit les actifs en emploi à travailler des heures qui auraient pu être effectuées par des chômeurs.

Et ceci est d'autant plus cruel qu'en effet, le Secrétaire d'Etat a raison à court terme : lors d'une crise de demande massive, comme celle que traverse notre économie, le nombre d'emploi ressemble à un gros gâteau qui n'augmente pas -la demande étant insuffisante pour inciter les entreprises à accroître leur production, et à embaucher pour cela.

Mais ce raisonnement ne vaut que dans des circonstances exceptionnelles et à court terme. Sur le long terme, le nombre d'emplois s'ajustent globalement au nombre d'actifs. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement : tout actif est par définition capable de travailler et, pour autant que le marché assume sa fonction coordinatrice, il n'y a aucun raison qu'il ne puisse échanger sa production, ou ses capacités productives, avec d'autres acteurs. Plus le nombre d'actifs grandit, plus la production s'accroît : c'est pour cela que le taux de croissance potentielle d'une économie ne dépend que de deux choses : ses gains de productivité et la croissance de sa population active. Le gâteau ne possède pas une taille intangible : il grossit avec le nombre de convives -pour la simple raison que chaque convive en produit sa part.

Et c'est bien ce qui s'est passé en France jusqu'à la crise de 1975. Le problème de la France est le fait que son économie n'a jamais été capable de récupérer, par la suite, durant les phases de croissance rapide, par des créations d'emplois plus importantes que celle de l'augmentation de la population active, les conséquences des périodes de croissance faible ou négative, qui entraînent une croissance du nombre d'emplois plus faible que la population -voire même des destruction d'emplois. Les créations d'emploi soutenues entre 1985-1990 et 1997-2001 n'ont pas compensé les périodes de destruction (1975 ; 1984-1985 ; 1991-1993) ou de faible croissance.

C'est cela qui caractérise en propre l'économie française (et, dans une moindre mesure, les économies européennes), notamment en comparaison avec les Etats-Unis, où ce phénomène ne s'est pas produit (l'économie américaine a même inséré des dizaines de millions de travailleurs immigrés sans difficulté)."

















1. Ce qui n'interdisait pas de soutenir les 35 heures pour d'autres raisons (ce qui était mon cas) -à commencer par le fait qu'il est tout aussi légitime d'utiliser les gains de productivité d'une économie pour travailler moins que pour accroître le pouvoir d'achat, le but ultime de l'économie n'étant pas de faire travailler les individus, mais d'accroître la satisfaction qu'ils tirent des biens et services produits -ce qui peut passer par plus de temps libre.



vendredi 21 octobre 2011

Berlin enterre trop vite l’euro

20 juin 2011, To Vima Athènes

En publiant l'image d'un drapeau grec recouvrant le cercueil de la monnaie unique, Der Spiegel dévoile,selon la presse grecque dont le quotidien To Vima, les objectifs cachés de la politique allemande, soit l'hégémonie germanique.
Si la position provocatrice de la Vénus de Milo [en Une de l'hebdomadaire Focus, en 2010] était de mauvais goût, la couverture de l'hebdomadaire Der Spiegel aujourd’hui est une indécence révélatrice des intentions et des objectifs cachés de l’hégémonie de l’Allemagne, pour la Grèce mais aussi pour toute l’Europe.

Quelques jours après le rappel à l'ordre sans précédent de la chancelière Angela Merkel par le président français Nicolas Sarkozy, et ensuite, la pression du président américain Barack Obama, voilà que cette Une scandaleuse montre un drapeau grec recouvrant le cercueil dans lequel repose la monnaie unique.
S'il ne s'agit pas de la voix officielle de Berlin, cette Une révèle cependant le sentiment d’une partie de la classe dirigeante allemande, lectrice de ce journal : l'Allemagne ne souhaite pas accorder de nouvelle aide à la Grèce.
Parmi les "arguments" de l'article du Spiegel, des soi-disant vérités allemandes sont exprimées pour la première fois : la zone euro est composée d’économies qui ne peuvent pas avoir de cohérence en raison de différences structurelles de politique monétaire et économique. Selon le magazine, cette situation évolue désormais et présente un risque des plus élevés pour l'euro et pour l'Europe elle-même.

Une politique égoïste qui brise les peuples

Ce qui n'est évidemment pas mentionné, c'est que tout cela n'est pas uniquement dû à la crise de la dette grecque. Cela est causé, en très grande partie, par la volonté de l’Allemagne d’utiliser la crise grecque comme un levier pour la révision générale de la monnaie unique.
Berlin a montré sa volonté de se distinguer par une politique nationale égoïste qui brise les peuples et les Etats qui ne peuvent pas ou refusent d'y participer. Ceux qui sont incapables de répondre aux exigences allemandes n’ont plus leur place dans la monnaie unique et dans l’Europe.
Le plus frappant est que, exactement au même moment, arrive une voix inattendue d'opposition à la politique allemande qui renverse tout ce que nous savions jusqu’à aujourd'hui de la version "officielle" que tenait nos prêteurs : celle de Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe en personne et Premier ministre luxembourgeois. Dans une interview donnée au quotidien belge La Libre Belgique, Juncker dit des choses qui bouleversent la ligne dominante imposée par Berlin. Il explique, entre autres, que la peur d'une extension de la déstabilisation provoquée non par les "marchés" mais par le peuple constitue désormais une réalité dont nul ne peut prédire où, quand et comment elle finira.
Après la pression des Etats-Unis et de la France, l’Allemagne montre qu’elle perd la bataille pour son hégémonie en Europe et voila ce qui dérange Der Spiegel et ses lecteurs. Une bataille qui consistait surtout en une politique dévastatrice pour la Grèce. 
En fait, les Allemands voulaient mettre fin à un "cauchemar", celui de pays qui ne peuvent les aider à tracer un chemin impérial. Aujourd'hui, ils voient la fin de l'euro, non pas parce que la monnaie unique est véritablement en fin de course, mais parce que meurt ce qu'ils voulaient faire de l’euro.
La seule chose qui leur reste maintenant est de quitter cette zone euro. Peut-être est-ce là le nouveau message caché de cette publication indécente. L'image du Spiegel montre l'euro enterré avec le drapeau grec, mais finalement, ce sont surtout les couleurs noir, rouge et or des fossoyeurs hâtifs que l'on remarque.

Le théâtre de la terreur

LE MONDE| 09.09.11 |


Huit octobre 2001. "Début des bombardements", claironne la manchette du Guardian, d'ordinaire plutôt sobre. "La bataille est engagée", titre en écho le non moins modéré Herald Tribune, reprenant les propos de George W. Bush. Mais engagée contre qui ? Et comment se terminera-t-elle ?

Par exemple avec Oussama Ben Laden dans les fers, l'air plus serein et christique que jamais, comparaissant devant un tribunal composé des vainqueurs, défendu par Johnny Cochrane comme O. J. Simpson avant lui (car il est certain que les frais d'avocat ne lui poseront pas problème) ?

Ou alors avec un Ben Laden réduit en charpie par une de ces bombes intelligentes dont nous parlent constamment les journaux, celles qui tuent les terroristes dans leurs repaires mais épargnent la vaisselle ?

Ou bien existe-t-il une issue à laquelle je n'ai pas pensé, qui nous éviterait de transformer notre ennemi public n°1 en martyr n°1 aux yeux de ceux qui voient déjà en lui un demi-dieu ? Nous devons pourtant le punir. Nous devons le traduire en justice. Comme tout être sensé, je ne vois pas d'autre solution. Envoyons nourriture et médicaments, fournissons de l'aide humanitaire, rassemblons les réfugiés affamés, les orphelins mutilés et les morceaux de corps humains - pardon, les "dommages collatéraux" -, mais nous n'avons pas le choix : Ben Laden et ses sbires doivent être débusqués.

Hélas ! ce que l'Amérique recherche à l'heure actuelle, avant même la vengeance, c'est : plus d'amis et moins d'ennemis.
Or ce que l'Amérique se prépare, comme nous autres Britanniques, c'est : encore plus d'ennemis, parce que, malgré tous les pots-de-vin, les menaces et les promesses qui ont assemblé de bric et de broc cette vacillante coalition, nous ne pouvons pas empêcher un terroriste kamikaze de naître chaque fois qu'un missile mal guidé rase un village innocent, et personne ne peut nous dire comment sortir du cercle vicieux désespoir-haine-vengeance.
Ce qui peut nous apporter une lueur d'espoir, c'est que les clichés et les images télévisuelles stylisés de Ben Laden révèlent un homme au narcissisme exacerbé. Qu'il pose avec sa kalachnikov, assiste à un mariage ou lise un texte sacré, le moindre de ses gestes complaisants trahit une conscience aiguë de la caméra propre aux acteurs. Sa grande taille, sa beauté, sa grâce, son intelligence et son magnétisme sont des qualités formidables tant qu'on n'est pas le fugitif le plus recherché de la planète, auquel cas ce sont des handicaps difficiles à cacher.

Mais à mes yeux blasés, ce qui le domine, c'est sa vanité masculine presque irrépressible, son goût de la représentation, sa passion inavouée pour les feux de la rampe. Peut-être ce trait de caractère signera-t-il sa perte, l'attirant vers un dernier acte théâtral d'autodestruction, produit, réalisé, écrit et joué jusque dans la mort par Oussama Ben Laden soi-même.

Certes, selon les règles établies de la lutte terroriste, cette guerre est perdue depuis longtemps - par nous. Quelle victoire pourra jamais compenser les défaites déjà subies, sans parler de celles à venir ? "La terreur, c'est du théâtre", m'a affirmé posément un activiste palestinien en 1982 à Beyrouth. Il commentait le massacre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich, mais il aurait aussi bien pu être en train de parler du World Trade Center et du Pentagone. Bakounine, le chantre de l'anarchisme, aimait évoquer la "propagande de l'acte". On ne saurait imaginer actes de propagande plus spectaculaires et marquants.

Aujourd'hui, Bakounine est mort et enterré et, au fin fond de sa grotte, Ben Laden doit se frotter les mains en nous regardant nous engager dans ce processus qui réjouit au plus haut point les terroristes de son espèce : nous nous empressons de renforcer nos effectifs de police et de renseignement et de leur donner des pouvoirs accrus, nous mettons entre parenthèses les droits civiques élémentaires et restreignons la liberté de la presse, nous imposons de nouveaux tabous journalistiques et une censure occulte, nous nous espionnons nous-mêmes et, dans les pires extrêmes, nous profanons les mosquées et harcelons de pauvres concitoyens parce que leur couleur de peau nous effraie.

Toutes ces peurs que nous partageons (vais-je oser prendre l'avion ? Ne devrais-je pas dénoncer à la police le couple étrange qui habite au-dessus ? Ne vaudrait-il pas mieux éviter de passer en voiture devant les ministères de Whitehall ce matin ? Mon enfant est-il rentré de l'école sain et sauf ? Ai-je perdu d'un coup mes économies de toute une vie ?) sont précisément les peurs que nos agresseurs souhaitent nous voir nourrir.

Jusqu'au 11 septembre, les Etats-Unis étaient trop heureux de fustiger Vladimir Poutine et sa boucherie tchétchène. Il s'entendait dire que la violation par les Russes des droits de l'homme dans le Nord-Caucase - et nous parlons là de torture généralisée et meurtres à l'échelle d'un génocide, personne ne le conteste - faisait obstacle à la normalisation des relations de son pays avec l'OTAN et les Etats-Unis. Certaines voix, dont la mienne, allaient jusqu'à suggérer que Poutine rejoigne Milosevic à La Haye - les deux faisaient la paire. Eh bien, c'est terminé, tout ça ! La construction de la grande coalition nouvelle donnera à Poutine une odeur de sainteté, comparé à certains de ses petits camarades.

Qui se rappelle aujourd'hui le tollé contre ce qui était perçu comme un colonialisme économique des pays du G8 ? Ou contre l'exploitation du tiers-monde par des multinationales incontrôlables ? Prague, Seattle et Gênes nous ont offert des images dérangeantes de crânes fracassés, de verre brisé, de violence collective et de brutalités policières, qui ont beaucoup choqué M. Blair. Pourtant, c'était là un débat légitime, jusqu'à ce qu'il soit noyé dans une vague de patriotisme habilement récupéré par l'Amérique des grandes entreprises.

Mentionnez Kyoto, ces temps-ci, et vous risquez de vous faire taxer d'antiaméricanisme. Comme si nous étions entrés dans un monde orwellien où notre loyauté en tant que camarades de lutte se mesure à l'aune de notre propension à évoquer le passé pour expliquer le présent. Suggérer que les récentes atrocités s'inscrivent dans un contexte historique revient implicitement à les excuser. Si on est dans notre camp, on ne fait pas ça. Si on le fait, c'est qu'on est dans le camp adverse.

Voici dix ans, j'assommais tout le monde avec mon idéalisme en racontant à qui voulait bien m'entendre que nous étions en train de rater une occasion unique de transformer le monde, maintenant que la guerre froide était derrière nous. Où était le nouveau plan Marshall ?, plaidais-je. Pourquoi les jeunes hommes et femmes de l'American Peace Corps ou du Voluntary Service Overseas et leurs homologues européens n'affluaient-ils pas par milliers dans l'ex-Union soviétique ? Où se trouvait l'homme d'Etat de stature internationale, l'homme providentiel doué de l'inspiration visionnaire susceptible de nous désigner les véritables ennemis de l'humanité, aussi peu ragoûtants soient-ils : pauvreté, famine, esclavage, tyrannie, drogue, conflits ethniques, racisme, intolérance religieuse, cupidité ?
Et voilà que, du jour au lendemain, grâce à Ben Laden et ses lieutenants, tous nos dirigeants sont devenus des hommes d'Etat de stature internationale, faisant de beaux discours d'inspiration visionnaire dans de lointains aéroports qui leur servent de tremplins électoraux.

Le terme malheureux de "croisade" a été prononcé, et pas seulement par le signor Berlusconi. A l'évidence, parler de croisade relève d'une savoureuse méconnaissance de l'histoire. Berlusconi se proposait-il vraiment de libérer les lieux saints de la chrétienté et de pourfendre les infidèles ? Et Bush avec lui ? Et serait-il déplacé de ma part de rappeler que nous les avons perdues, les croisades ? Mais tout est pour le mieux : la petite phrase du signor Berlusconi a été déformée, et la référence présidentielle devient caduque.

Pendant ce temps-là, M. Blair joue à plein son nouveau rôle de vaillant porte-parole de l'Amérique. Blair s'exprime d'autant mieux que Bush s'exprime mal. Vu de l'étranger, dans ce duo, c'est Blair qui fait figure de dirigeant expérimenté et inspiré jouissant chez lui d'une assise populaire inébranlable, alors que Bush - qui ose encore le dire, aujourd'hui ? - s'est fait élire dans des conditions plus que douteuses. Mais de quoi est-il représentatif au juste, ce Blair, dirigeant expérimenté ? L'un et l'autre sont actuellement au plus haut dans les sondages mais, s'ils ont bien appris leurs leçons d'histoire, tous deux sont forcément conscients qu'une cote de popularité élevée au premier jour d'une opération militaire risquée à l'étranger ne garantit en rien une victoire aux élections.

A combien de cadavres de GIs résistera le soutien populaire de M. Bush ? Certes, après l'horreur des attentats sur le sol américain, le peuple crie vengeance, mais il atteindra vite son seuil de tolérance à la vue du sang versé par d'autres compatriotes.

A en croire l'Occident tout entier (hormis quelques voix discordantes en Grande-Bretagne), M. Blair est l'éloquent chevalier blanc de l'Amérique, le loyal et intrépide protecteur de cet enfant si fragile né dans les flots de l'Atlantique : la "relation privilégiée". Savoir si cela lui attirera les faveurs de l'électorat est une autre affaire, parce qu'il a été élu pour sauver le pays du déclin et non d'Oussama Ben Laden.
L'Angleterre qu'il mène au combat est un monument érigé à soixante ans d'incurie administrative. Nos systèmes de santé, d'éducation et de transports sont exsangues. Il est de bon ton ces temps-ci de dire qu'ils sont dignes de ceux du tiers-monde, mais certains pays du tiers-monde s'en sortent beaucoup mieux que la Grande-Bretagne. L'Angleterre que gouverne Blair est rongée par le racisme institutionnalisé, la domination de l'homme blanc, une police désorganisée, une justice engorgée, une richesse privée indécente et une pauvreté collective honteuse et parfaitement évitable. Lors de sa réélection, marquée par un abstentionnisme record, Blair a reconnu l'existence de ces maux et s'est humblement engagé à les éradiquer.

Alors, quand vous captez les vibrants trémolos dans sa voix de va-t-en-guerre malgré lui et vous laissez gagner par sa rhétorique bien huilée, soyez aussi réceptif à l'avertissement subliminal qu'il vous envoie peut-être : sa mission envers l'humanité est si capitale qu'il vous faudra attendre encore un an pour votre opération urgente à l'hôpital et bien plus pour avoir droit à des trains ponctuels et sûrs. Je ne suis pas sûr que ce soit avec ça qu'il remporte les législatives dans trois ans. A le regarder et à l'écouter, je ne peux m'empêcher de penser qu'il vit dans un rêve et avance sur une planche qu'il se savonne lui-même.
J'ai employé le mot "guerre". Je me demande si Blair et Bush ont jamais vu un enfant déchiqueté par une explosion ou un camp de réfugiés sans défense atteint par une bombe à fragmentation. Nul besoin d'avoir été témoin de ce genre d'horreurs pour faire un bon chef des armées, et je ne souhaite cette expérience ni à l'un ni à l'autre. Mais il n'en reste pas moins que j'ai peur chaque fois que je vois le visage d'un politicien novice illuminé par une aura guerrière et que j'entends sa voix distinguée m'exhorter au combat.
Et s'il vous plaît, monsieur Bush, je vous en supplie, monsieur Blair : laissez Dieu en dehors de tout ça. Imaginer que Dieu s'implique dans des guerres revient à lui imputer les pires folies des hommes. Si nous le connaissons un tant soit peu, ce que je me garderais bien d'affirmer, Dieu préfère les largages de nourriture efficaces, les équipes médicales dévouées, le confort matériel et des tentes solides pour les sans-abri et les miséreux. Dieu préfère que nous fassions amende honorable pour nos péchés passés et que nous nous employions à les racheter. Il nous préfère moins cupides, moins arrogants, moins prosélytes, moins méprisants à l'égard des déshérités.
Ce n'est pas un nouvel ordre mondial, pas encore, et ce n'est pas la guerre de Dieu. C'est une opération de police atroce, nécessaire, dégradante, visant à pallier la faillite de nos services de renseignement et l'aveuglement politique avec lequel nous avons armé et utilisé les intégristes islamistes afin qu'ils luttent contre l'envahisseur soviétique, pour leur abandonner ensuite un pays dévasté et sans gouvernement. En conséquence, il nous incombe, hélas, de traquer et punir une bande de fanatiques religieux néo-médiévaux qui tireront de cette mort dont nous les menaçons une dimension mythique.

Et une fois que ce sera fini, ce ne sera pas fini. L'émotion suscitée par l'élimination de Ben Laden grossira les rangs de ses armées de l'ombre au lieu de les rompre, ainsi que l'arrière-garde de sympathisants silencieux qui leur fournissent le soutien logistique. L'air de rien, entre les lignes, on nous invite à croire que l'Occident s'intéresse avec un regain de conscience au problème des pauvres et des sans-abri de cette planète. Et peut-être en effet que de la peur, de la fatalité et de la rhétorique est née une moralité politique d'un genre nouveau. Mais quand les armes se tairont pour laisser place à une paix apparente, les Etats-Unis et leurs alliés resteront-ils fidèles au poste ou, comme à la fin de la guerre froide, raccrocheront-ils leurs godillots pour retourner cultiver leurs jardins ? Des jardins qui ne seront plus jamais les havres d'antan.

Tribune publiée dans Le Monde, du 18 octobre 2001
Traduit de l'anglais par Isabelle Perrin © David Cornwell 2001.

De la non-innéité du jugement de goût - habitus de classe

Voici une citation extraite de Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Editions de Minuit, 1979, p 83, qui illustre de façon exemplaire la non-innéité du jugement de goût.

Dans La Distinction, mais surtout dans L’Amour de l’art (1966, Collection « Le sens commun », Editions de Minuit) Bourdieu démythifie la notion de goût inné. Avec L’Amour de l’art, Bourdieu et Darbel veulent montrer que les différences d’attitudes des hommes face aux œuvres d’art ne sont pas le résultat de facultés et de prédispositions innées.

« Ce qui s’acquiert par la fréquentation quotidienne des objets anciens ou par la pratique régulière des antiquaires et des galeries, ou, plus simplement, par l’insertion dans un univers d’objets familiers et intimes “qui sont là, comme dit Rilke, sans arrière-sens, bons, simples, certains”, c’est évidemment un certain “goût” qui n’est autre chose qu’un rapport de familiarité immédiate avec les choses de goût ; c’est aussi le sentiment d’appartenir à un monde plus poli et plus policé, un monde qui trouve sa justification d’exister dans sa perfection, son harmonie, sa beauté, un monde qui a produit Beethoven et Mozart et qui reproduit continûment des gens capables de les jouer et de les goûter ; c’est enfin une adhésion immédiate, inscrite au plus profond des habitus, aux goûts et aux dégoûts, aux sympathies et aux aversions, aux phantasmes et aux phobies, qui, plus que les opinions déclarées, fondent, dans l’inconscient, l’unité de classe. »

dimanche 2 octobre 2011

RSA : 10.000 contrats de 7 heures et autant de chômeurs en moins

Contes Publics, 23/09/2011, Le blog de Claire Guélaud.

La ministre des solidarités, Roselyne Bachelot, a confirmé, vendredi 23 septembre, à Chambéry (Savoie), que des contrats aidés de sept heures par semaine, rémunérés sur la base du smic, seront proposés aux allocataires du revenu de solidarité active (RSA) dans une quinzaine de départements. L'objectif du gouvernement est d'aboutir à 10 000 contrats de ce type d'ici à la fin 2012, d'évaluer le dispositif et, le cas échéant, de le généraliser.

Ces nouveaux contrats aidés, préconisés par Marc-Philippe Daubresse (député UMP du Nord), seront des contrats unique d'insertion (CUI). Jusqu'à présent, les conseils généraux pouvaient en proposer, mais ils n'étaient pris en charge par l'Etat à 95 % qu'à partir de vingt heures d'activité par semaine. Le surcoût, pour l'Etat, des 10 000 CUI de sept heures hebdomadaires sera de 3 millions d'euros.

Le nouveau dispositif est donc avantageux pour les conseils généraux. Il peut permettre aux personnes percevant le RSA de gagner 130 euros par mois en plus (pour les célibataires). Mais il présente aussi un avantage certain pour le gouvernement : faire sortir des statistiques du chômage ceux qui en bénéficieront.

En effet, les allocataires du RSA sont, dans une proportion importante, inscrits à Pôle emploi. En juillet, 474 400  d'entre eux figuraient dans la catégorie A des demandeurs d'emploi, c'est-à-dire les personnes inscrites à Pôle emploi, sans emploi et n'ayant pas exercé d'activité réduite dans le mois précédant leur inscription.

Ceux qui, sans emploi, prendront un CUI de sept heures par semaine (et ils n'auront pas le choix s'il leur est proposé) sortiront immédiatement de la catégorie A des demandeurs d'emploi, celle qui sert de baromètre officiel du chômage, a précisé au Monde Pôle emploi.

Les chiffres du chômage s'en trouveraient alors améliorés à peu de frais. C'est ce que l'on appelle le « traitement  statistique » du chômage. Les gouvernements sont souvent tentés d'y recourir dans les périodes d'augmentation du nombre des demandeurs d'emploi.

Or, l'Unedic a revu à la hausse, le 22 septembre, ses prévisions de chômage : elle s'attend à 36 700 chômeurs de plus dans la catégorie A en 2011 et à 55 500 de plus en 2012. Le nombre total des chômeurs indemnisés par l'assurance chômage passerait de 2 071 000 en 2010 à 2 092 500 cette année et à 2 139 600 en 2012.

Les ménages épargnent comme au plus fort de la récession

Ce n'est pas une bonne nouvelle pour la croissance : les ménages consomment moins et épargnent davantage. C'est ce qui ressort des résultats détaillés des comptes nationaux trimestriels publiés mercredi 28 septembre par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Au deuxième trimestre 2011, révèlent-ils, pendant que la croissance marquait le pas, le taux d'épargne des ménages a bondi de 1,1 point à 17%, soit son niveau le plus élevé depuis le troisième trimestre 2009.

Pendant cette même période, les ménages ont vu leur pouvoir d'achat accélérer, passant d'une hausse de 0,2% au premier trimestre à +0,6% au deuxième, à la faveur d'une moindre pression fiscale et du dynamisme de la masse salariale et des prestations sociales. Malgré cela, ils ont consommé moins – leurs dépenses en valeur ont reculé de 0,2%, après avoir augmenté de  1,1% – et épargné beaucoup plus comme ils le faisaient au cœur de la récession.

Tout se passe donc comme si, conscients du fait que la croissance française avait brutalement marqué le pas au printemps 2011 et préoccupés par la crise grecque, par ses répercussions dans la zone euro, et par le ralentissement économique général, ils préféraient se prémunir contre d'éventuels lendemains qui déchantent et reconstituer leur épargne de précaution.

Ces résultats sont en ligne avec les enquêtes Insee du 23 septembre qui faisaient état d'une forte dégradation du climat des affaires et du moral des ménages au sortir de l'été. Ils sont d'autant plus préoccupants que la consommation des ménages est loin d'avoir retrouvé ses niveaux d'avant la crise et que l'investissement des entreprises ralentit. Si les ménages continuent de remplir leurs bas de laine, ce n'est donc pas sur la demande intérieure que l'on pourra compter pour relancer la croissance.

Les Roms nation Paria d'Europe

PressEurop établit un dossier sur les conditions dégradantes des Roms en Europe, notamment en Pologne, Hongrie, Roumanie et Bulgarie :

http://www.presseurop.eu/fr/content/topic/319811-les-roms-nation-paria-deurope

Il y a en Europe un pays du Tiers-monde, qui compte dix millions d’habitants et n’a pas de frontières. Une nation dont les citoyens vivent dans leur grande majorité en-dessous du seuil de pauvreté et dans des conditions inacceptables pour la plupart des Européens ; moins scolarisés qu’eux, ils ont également nettement plus nombreux à ne pas avoir d’emploi. Objet de mille préjugés et superstition, ces citoyens de seconde catégorie ont subi les déportations des nazis et continuent d’être discriminés, voire persécutés. En Europe centrale notamment, ils constituent les têtes de turc des mouvements xénophobes et cristallisent les peurs des habitants.

Bien que les Roms constituent parfois une portion importante de la population nationale, notamment dans ces pays, le statut de minorité nationale – et les protections qui vont avec – leur est très souvent refusé. En 2008 le Parlement européen avait réclamé une stratégie européenne aux égards des Roms, on n’a pas encore vu les résultats. Pourtant, les États auraient tout intérêt à faire davantage d’efforts pour intégrer les Roms. Pour des raisons humanitaires avant tout, de cohésion sociale ensuite et économiques enfin. 

Une récente étude de la Banque Mondiale chiffre le coût de l’exclusion des Roms en 5,7 milliards d’euros pour la seules Bulgarie, Roumanie, République tchèque et Serbie. Cela comprend à la fois les pertes de productivité liées au non-emploi des Roms et les pertes fiscales liées à leur non-imposition. 

Cette étude a été présentée lors du deuxième Sommet européen sur les actions et les politiques en faveur des Roms, qui s’est tenu les 8 et 9 avril à Cordoue. On Les Vingt-sept feraient bien d’en tenir compte, au moment où ils raclent les fonds de tiroirs pour résorber leur dette publique hors de contrôle. 

Gian-Paolo Accardo

Une vague d'émeutes anti-roms

Depuis le 24 septembre, une vague d’émeutes anti-roms submerge les grandes villes bulgares. Des manifestants, souvent très jeunes, s'insurgent contre l'impunité dont bénéficieraient les Roms tout en s'érigeant en "défenseurs de la nation bulgare"...

Tout a commencé par ce que les autorités ont d’abord qualifié de "tragique accident de la route" : un homme de 24 ans est renversé par un mini-bus conduit par des Roms se rendant chez Kiril Rachkov, patriarche rom à la réputation sulfureuse à Katounitsa, village de 3 000 habitants près de Plovdiv dans le sud du pays.

Selon le père de la victime, il s'agit d'un meurtre prémédité. Les occupants du véhicule se réfugient dans la maison du "roi Kiro" avant de forcer un barrage improvisé par les habitants, blessant d'autres villageois. Rejoints par des ultras du club de foot de Plovdiv, des habitants de Katounitsa incendient et pillent les maisons appartenant au clan des Rachkov. Le lendemain, un jeune de 16 ans, atteint d'une maladie cardiaque chronique, décède lors d'échauffourées dans le village.

Le conducteur du mini-bus s'est rapidement livré à la police et a affirmé avoir renversé accidentellement le jeune homme après un esclandre sur la voie. Le 28 septembre, le ministère de l'Intérieur a annoncé l'arrestation de Kiril Rachkov. Il sera poursuivi pour "menaces de mort"  et évasion fiscale à grande échelle.

L’explosion du pseudo modèle social

Antonina Jeliazkova,  30 septembre 2011, Trud, Sofia
Les émeutes qui ont secoué le village de Katounitsa et plusieurs villes du pays ne sont pas qu’une poussée de fièvre anti-Roms. Elles sont le symptôme d’une société malade, soumise au clientélisme, constate une anthropologue bulgare.

Une foule brûle la maison du chef rom, le "Roi Kiro, village de Katounitsa, 24 septembre 2011. Photo AFP












Ce qui est arrivé à Katounitsa est tout sauf un incident [voir encadré ci-dessous]. Ce n’est pas non plus un cas isolé, mais une tendance destructrice qui se développe de manière endémique à cause de la passivité institutionnelle de ces dernières années. Ce conflit ne doit pas être vu en dehors du contexte politique global en Bulgarie.
Nous n’avons pas de leaders de la nation mais des parapolitiques. Cela change la nature de nos attentes et fausse les espoirs de la société civile. Depuis plusieurs mois que nous sommes en campagne électorale [des élections présidentielle et municipales auront lieu le 23 octobre prochain], nous n’avons pas entendu un seul échange d’idées intéressant sur l’économie, la politique étrangère ou la société. En revanche, les petites intrigues et les coups bas sont foison. La politique bulgare est une émanation des journaux à scandales, et ils se nourrissent mutuellement.

Des milliers de raisons de perdre espoir en la justice sociale

Le dialogue politique est au plus bas. C’est à ce niveau que se trouve également l’exploitation sans vergogne des relations interethniques et interreligieuses dans ce pays. Ces dernières années, aucun des hommes politiques n’a jugé nécessaire de mettre de l’ordre dans les relations entre chrétiens et musulmans, entre les Roms et toutes les autres communautés, ni de proposer des stratégies efficaces pour une intégration réelle des minorités. Parce que l’ensemble de cette élite autoproclamée trouve son compte dans ce statu-quo humiliant qui leur permet de mieux s’accrocher au pouvoir.
Ces tensions sont toujours motivées par des intérêts politiques, surtout en période préélectorale. En Bulgarie, il existe des milliers de raisons de perdre espoir en la justice sociale. Et ce désespoir atteint toutes les couches de la société, des médecins aux poètes en passant pas les paysans. Sont exlus, bien évidemment, les bandits nouveaux riches, les escrocs en gros, les politiciens corrompus et les hauts magistrats. Dans un tel cas de figure, et c’est l’historienne et anthropologue sociale que je suis qui parle, il n’y a rien de plus efficace que de rediriger sa colère vers les minorités, les religions différentes et, tout simplement, ceux qui sont différents.
Bref, en substituant les faux problèmes aux vrais. Les frontières deviennent floues, et il facile de faire passer des erreurs politiques ou des faits de droit commun pour des conflits interethniques, avec des conséquences parfois dramatiques.

L'impossibilité d'abolir les privilèges féodaux locaux

Les barils de poudre comme Katounitsa, il y en a un peu partout en Bulgarie. Chez les Roms, on en est déjà à la troisième ou quatrième génération sans éducation et sans aucune chance sur le marché du travail, et la criminalité grimpe en flèche. De l’autre côté, les sentiments anti-roms dans la société n’ont jamais été aussi virulents ! Les partis politiques, eux, ont perverti les plus pauvres et les marginaux dans la société en les initiant au commerce de voix électorales. C’est ce qui a donné naissance à ces “rois” roms autoproclamés, leaders corrompus des ghettos, s’enrichissant sur le dos de leurs coreligionnaires et vendant leur voix au plus offrant. Ils sont les maîtres absolus de quartiers, villages ou villes sur tout le territoire de la Bulgarie.
Le soit disant “Roi Kiro”, comme une grande partie de sa famille, devrait depuis longtemps croupir en prison pour des crimes allant de la fabrication d’alcool frelaté jusqu’à la traite de femmes et d’enfants. Mais ce n’est pas le cas, parce qu’ils disposent de ressources considérables, de l’argent pour payer en cash les policiers, hommes politiques et magistrats, mais aussi d’un capital de voix de plusieurs milliers d’âmes.
Ce problème n’est pas qu’ethnique, il s’agit d’une maladie nationale. Que dire des toutes ces villes et région “gérées” de facto par des boss mafieux qui tiennent la population en distribuant des privilèges ou en semant la peur ?
Une politique adéquate consisterait tout simplement à faire appliquer la loi : abolir les privilèges de féodaux locaux ; condamner les criminels afin de permettre aux citoyens de s’émanciper, voter, vivre et travailler librement. Mais à l’heure actuelle, cela semble impossible en Bulgarie.

Une farce tragique

Dimitri Mitropoulos, 13 septembre 2011, Ta Nea, Athènes

Comme dans les sombres tragédies de Shakespeare, la scène politique grecque peut être renversée par un seul personnage. Ce personnage n'est pas un premier rôle mais il est crucial dans l'évolution des scènes, et pas positif. Quelqu'un comme Iago dans Othello. 

Toute proportions gardées, cette analogie pourrait s'appliquer à Nikos Fotopoulos, le président du syndicat Genop-DEI (l'Electricité de Grèce). Il est brun, mal rasé, vêtu de noir et a quelque chose de théâtral.  Mais surtout parce que ce syndicaliste surgit sur le devant de la scène à un moment critique de notre tragédie financière nationale.

Le gouvernement Papandréou est désespéré. Il cherche environ 2 milliards d'euros pour combler le déficit public. Pour les recueillir, il a donc soumis l'idée d'imposer à nouveau les propriétés immobilières, en utilisant les factures d'électricité [pour identifier les propriétaires] car il n'y a pas de cadastre, tandis que DEI comptabilise au mètre carré près l'ancienneté et le quartier. Mais utiliser les factures de DEI pour imposer une nouvelle taxe [elle sera intégrée dans le calcul de la facture]  est l'aveu d'un échec. Le gouvernement reconnaît ainsi qu’il ne fait pas confiance aux mécanismes de récolte de l'impôt. C'est un bien triste constat qui remet en cause l’efficacité des taxes précédentes.

L'élite de l'Etat se retourne contre leur propre gouvernement

Le gouvernement va donc imposer une nouvelle taxe extraordinaire cette année et l'année prochaine. Il le fait parce que depuis 20 mois, il essaie en vain de réformer l'administration publique, de vendre des biens et de supprimer des organismes publics. Il y a eu des coupes sur les salaires, mais pas de véritables réformes. La mise en place d'un salaire unique pour tous les fonctionnaires à tellement d'exceptions que ce salaire s'annule de lui même, la mise en disponibilité de fonctionnaires est tellement obscure que l'Etat ne pourra pas y arriver sans licencier des employés d'Etat.

En réalité, le PASOK [le parti socialiste au pouvoir], pas plus que la Nouvelle Démocratie [l’opposition de droite], n'ose toucher à l'Etat parce que c'est sa propre création, même si c'est une horreur. Pour éviter de réformer l'Etat, le gouvernement préfère faire payer tous les propriétaires grecs.

C'est donc une pièce de théâtre avec un metteur en scène invisible mais, ironiquement, avec pour personnage Fotopoulos et les caïds de Genop-DEI qui refusent que les factures d'électricité soient utilisées pour appliquer la loi imposée par le gouvernement. Ces enfants du PASOK, qui constituent une élite de l'Etat, se retournent donc contre leur propre gouvernement. Ils préfèrent que le pays sombre dans la faillite plutôt que toucher à leurs avantages. Dans tous les cas, le coût sera important pour les Grecs. Le problème est donc qu'aucune vraie tragédie – de Shakespeare ou des financiers – n’a de fin heureuse. Au final, nous devront payer.

Et maintenant, que peut la Grèce ?

Panos Panagiotopoulos, 6 septembre 2011, To Ethnos, Athènes
Les Européens ne croient pas que nous voulons être sauvés ! Les indicateurs sont dans le rouge alors que les réformes structurelles tardent. Et sans crédibilité, que voulez-vous renégocier ? Pour tous ceux qui connaissent un peu l'économie grecque, il était très clair que les objectifs du plan de rigueur, et surtout les mesures annoncées en 2011, étaient très, voire trop ambitieux (c'est à dire non réalisables).  
Ce n’est pas seulement en raison de "réticences politiques", qui sont pourtant réelles et que personne ne peut ignorer ; c'est à cause de délais irraisonnables. A cela, il faut ajouter la qualité du personnel politique et administratif du pays, et celle du système juridique et judiciaire.
La troïka FMI-UE-BCE et le gouvernement ont commis une grosse erreur en s'engageant sur des objectifs trop ambitieux – malgré les réticences sur la "recette" et la manière de la mettre en oeuvre. Bien que dos au mur, le gouvernement a reçu les experts de la troïka [la semaine dernière, une visite précipitamment interrompue] alors que ces derniers nourrissent les marchés de prévisions non réalisables qui, avec le discours du "plus difficile" et du "plus coûteux", conduisent à l'opposé du résultat escompté. Et de fait, même si beaucoup de choses ont été accomplies, l’image internationale de la Grèce est celle d’un pays qui ne fait rien.

Sur le fil du rasoir

Ça, c'est le bon coté. Car de nombreux dirigeants européens, banquiers et technocrates l'ont compris et dénoncent la "trop forte pression" exercée sur la Grèce. L'autre coté, c'est... l'échec ! Le gouvernement parle sans arrêt de "fusions" et de "suppressions" d'organismes publics, et plus généralement de réformes structurelles, mais il n'a presque rien fait !

De plus, la "gabegie" dans le secteur public se poursuit dans la plupart des cas. Les récentes déclarations du vice-ministre de l'Interieur sur les administrations publiques le prouvent. Il est tout de même étrange d’avoir diminué les salaires et les retraites, jusqu'à 1 000 euros par mois, d'avoir augmenté les taxes et les impôts, et de voir 2 ans après la fraude fiscale et la gabegie dans le secteur public continuer au plus haut point.
Tout ceci constitue une "mauvaise recette" qui, au delà des injustices sociales qu'elle engendre, entraîne une récession incontrôlable et un chômage qui est "un couteau sous la gorge". Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
Les Européens ne croient pas que nous voulons être sauvés ! De nombreux indicateurs sont dans le rouge et beaucoup de nos objectifs n'ont pas été atteints. Il y a un problème de recette, de retard des réformes structurelles et encore une fois de crédibilité. Cela rend difficile l'application de l'accord du 21 juillet [le nouveau plan de sauvetage élaboré par les pays de la zone euro] qui déborde de zones d'ombre et restreint la possibilité de renégocier les termes du plan de rigueur. Nous sommes sur le fil du rasoir !

La dette greque en dessins























Vers un génocide financier

Courrier International

Ainsi les Grecs refuseraient d’économiser ? Un juriste de Vienne qui possède un pied-à-terre à Athènes les a observés au quotidien. Sa conclusion : ils économisent à en crever.

Günter Tews, 29 Septembre 2011, Die Presse

On ne peut rester sans réagir aux diverses déclarations des plus hauts responsables de toute l’Europe, certaines frisant l’imbécillité, au sujet de ces “fainéants” de Grecs qui “refusent d’économiser”. Depuis seize mois, je dispose d’une résidence secondaire à Athènes, et j’ai vécu cette situation dramatique sur place. On se plaint que les plans d’économie sont inefficaces parce que les revenus fiscaux chutent. On remet en question la volonté des Grecs d’économiser. Mais voici quelques faits :
– réduction des salaires et des retraites atteignant jusqu’à 30 % ;
– baisse du salaire minimum à 600 euros ;
– hausse des prix draconienne au cours des quinze derniers mois (fioul domestique : + 100 % ; essence : + 100 % ; électricité, chauffage, gaz, transports publics : + 50 %).

Sur les 165 000 commerces, 30 % ont fermé leurs portes, 30 % ne sont plus en mesure de payer les salaires. Partout à Athènes, on peut voir des panneaux jaunes avec le mot “Enoikiazetai” en lettres rouges : “A louer”. Dans cette atmosphère de misère, la consommation a plongé de manière catastrophique. Or l’économie grecque a toujours été fortement axée sur la consommation.

Les couples à double salaire ne perçoivent soudain plus que deux fois 400 euros d’allocations chômage. Les employés de l’Etat ou d’entreprises du secteur public, comme Olympic Airlines ou les hôpitaux, ne sont plus payés depuis des mois et le versement de leur traitement est repoussé à octobre ou à “l’année prochaine”. C’est le ministère de la Culture qui détient la palme. De nombreux employés qui travaillaient sur l’Acropole ne sont plus payés depuis vingt-deux mois.

Tout le monde s’accorde à dire que les milliards versés par l’UE pour le renflouement du pays repartent à 97 % directement vers l’Union et vers les banques pour éponger la dette et l’augmentation des taux d’intérêt. Ainsi le règlement de la dette grecque est-il discrètement rejeté sur les contribuables européens. En attendant le krach, les banques encaissent des intérêts copieux… On invente de nouvelles taxes. Ainsi, pour déposer une plainte au commissariat, il faut payer sur-le-champ 150 euros. Dans le même temps, les policiers sont obligés de se cotiser pour faire le plein de leurs voitures de patrouille. Un nouvel impôt foncier, associé à la facture d’électricité, a été créé. S’il n’est pas payé, l’électricité du foyer est coupée. Depuis plusieurs mois, les écoles publiques ne reçoivent plus de manuels scolaires, l’Etat ayant accumulé d’énormes dettes auprès des maisons d’édition. On ignore comment les écoles – surtout celles du Nord – vont régler leurs dépenses de chauffage.

Toutes les universités sont de fait paralysées. Bon nombre d’étudiants ne peuvent ni déposer leurs mémoires ni passer leurs examens. Le pays se prépare à une vague d’émigration. Les jeunes ne voient plus aucun avenir en Grèce. Ceux qui travaillent le font pour un salaire de misère et en partie au noir (sans sécurité sociale) : 35 euros pour dix heures de travail par jour dans la restauration. Les heures supplémentaires s’accumulent sans être payées. Le gouvernement grec ne perçoit plus un centime d’impôt. II ne reste plus rien pour les investissements d’avenir dans des secteurs comme l’éducation. Les réductions d’effectifs dans la fonction publique sont massives. On se débarrasse des salariés à quelques mois de l’âge de la retraite afin de ne leur verser que 60 % de leur pension.

La question est sur toutes les lèvres : où est passé l’argent des dernières décennies ? De toute évidence, pas dans les poches des citoyens. Les Grecs qui travaillent se tuent à la tâche (cumul de deux, trois, quatre emplois).

Tous les acquis sociaux des dernières décennies ont été pulvérisés. Quand on sait que les responsables grecs ont dîné avec les représentants de la troïka [Commission européenne, BCE et FMI] pour 300 euros par personne, on ne peut que se demander quand tout cela finira par exploser.

Ce qui se passe en Grèce devrait alerter la vieille Europe. Il faut s’attaquer à la dette tant qu’elle est encore relativement sous contrôle et avant qu’elle ne s’apparente à un génocide financier.

La chute d'un empire

Les événements dans les Pays Baltes au début de l'année 1991 ont accéléré le processus d'éclatement de l'Union soviétique. Le journal Novoïé Vremia a entamé la publication d'une série d'articles sur ce bouleversement historique.

Courrier International, Dossier URSS, 1991-2011
Lioubov Tsoukanova, 02 février 2011, Novoïé Vremia.
Il y a tout juste vingt ans, le processus d'éclatement de l'URSS entrait dans sa dernière phase. Ce pays qui était la Patrie de plus de 289 millions de Soviétiques a cessé d'exister juridiquement le 8 décembre 1991. Toutefois, la dislocation avait commencé dès le mois de janvier, avec les manifestations tragiques de Riga et Vilnius, où le Kremlin, pris de court par les envies d'indépendance, avait eu recours à la force militaire. A partir de ce moment, les divergences entre Moscou, qui voulait à tout prix conserver un statu-quo, et les républiques fédérées, qui aspiraient à la séparation, s'étaient exacerbées. L'effet boule de neige était tel que la situation était devenue intenable.

La disparition d'un Etat qui s'étendait, comme le répétait joliment l'immuable cliché de la propagande soviétique, sur un sixième des terres émergées, n'a pas produit le même effet sur tous ses citoyens. Ceux qui s'étaient véritablement battus pour la sécession de leurs républiques et le retour à une indépendance qu'ils avaient connue auparavant, comme les pays Baltes, ou pour conquérir leur autonomie, comme la Géorgie ou la Moldavie, ont eu un sentiment de victoire. C'était la fin de l'“Empire du mal”, de la gigantesque machine de répression. Ceux qui estimaient que l'inclusion dans une “famille de peuples frères” s'était faite sous la contrainte s'étaient réjouis. C'était pour eux la fin d'une injustice, la disparition d'un mécanisme étatique trop pesant qui bloquait le développement du pays et des peuples qu'il abritait. Les élites nationales ont vu une carte à jouer. Dans les républiques fédérées, la nomenklatura du parti et de l'administration n'a pas tardé à comprendre que, libérée de la tutelle de Moscou, elle pourrait profiter de vastes opportunités : plus besoin de partager le pouvoir, les ressources ou le patrimoine.

Certains ont perçu l'éclatement de l'URSS comme inévitable au regard de l'Histoire, tout en sachant que le processus de divorce serait long et complexe. Mais pour de très nombreux Soviétiques, ceux qui avaient voté en faveur d'une Union “rénovée” lors des référendums de 1991, comme ceux qui avaient opté pour l'indépendance de leurs républiques (et c'étaient souvent les mêmes personnes), la disparition de l'URSS a constitué un choc émotionnel, voire, pour certains, une vraie catastrophe.

Le langage est très sensible à l'état de l'opinion. Ainsi, en Russie, on parle rarement de simple “éclatement” de l'URSS ; le terme consacré est “effondrement ». C'est ainsi que Vladimir Poutine a qualifié la disparition de l'URSS de “plus terrible catastrophe géopolitique du XXe siècle”, et les nombreux efforts désormais entrepris pour restaurer la vassalité des anciens territoires soviétiques, à défaut de pouvoir recréer l'Union, ne doivent rien au hasard. Mais plus le temps passe, plus il devient clair que l'empire ne sera jamais reconstitué. Parce que sa disparition n'a pas été l'œuvre d'une machination extérieure. Ce fut au contraire le résultat de plusieurs décennies d'une pression absolue. Un ressort complètement écrasé, lorsqu'il se détend, frappe tout ce qu'il rencontre, et en premier lieu ceux qui sont le moins responsables de la situation. L’année 1991 est riche en enseignements, bons à méditer aujourd’hui encore.

Janvier 1991 : Les pays Baltes en première ligne

[La Lettonie, la Lituanie et l’Estonie ont entamé la rupture avec Moscou dès le  printemps 1990, en rétablissant leur indépendance, par le biais de leur parlement. En août 1989, une chaîne humaine avaient été organisée à travers les trois républiques pour dénoncer leur annexion par l’URSS à la suite du Pacte germano-soviétique signé en 1939. En avril 1990, un blocus économique contre la Lituanie fut décrété par le Kremlin, qui multipliera ensuite les intimidations et les pressions jusqu’à envoyer les chars à Vilnius, le 13 janvier 1991].

2 janvier
Riga (Lettonie)
Un détachement d'OMON s'empare de la Maison des journalistes. (En décembre, 15 explosions ont retenti à travers toute la Lettonie, dont 4 pour la seule nuit du 26 au 27 décembre.) Les habitants de Riga descendent dans les rues. Les imprimeries se sont mises en grève.

13 janvier
Vilnius (Lituanie)
Peu après minuit, une colonne de blindés se dirige vers le centre-ville. A 1h50, les chars encerclent la tour de télé. Des blindés de transport de troupes acheminent des parachutistes qui repoussent à coups de crosse les gens venus défendre le bâtiment. Des rafales sont tirées, on compte des blessés et les premiers morts. Selon les journalistes présents sur place, des grenades fumigènes et des charges explosives sont lancées contre une foule sans armes. 

Des journalistes, y compris étrangers, sont passés à tabac, leurs appareils photos et caméras sont arrachés.
A 2h10, le présentateur de la télévision lituanienne a juste le temps d'annoncer que le bâtiment est pris par des hommes en armes, et l'antenne est coupée.
A 2h25, les chars sont devant les bureaux du télégraphe. Le porte-parole du Soviet suprême annonce que les militaires contrôlent l'agence télégraphique.
De 2h à 5 heures du matin, le représentant permanent de la Lituanie à Moscou essaie en vain d'entrer en contact avec le président Gorbatchev et le ministre de la Défense, Dmitri Iazov. Ce n'est qu'à 5h que la radio canadienne retransmet l'ordre donné par Gorbatchev aux militaires, et que les chars quittent les abords du parlement et de la tour de télé.
Le ministre lituanien de la Santé livre un bilan de 14 morts, dont deux personnes écrasées par des chars, et 144 blessés. Un spetsnaz de Pskov a été tué par balle.
Le procureur général de Lituanie ouvre une instruction contre les membres du Comité de salut national de Lituanie créé par les chefs du Parti communiste. Ils sont soupçonnés de vouloir organiser un renversement du pouvoir.
Au matin, l'état d'urgence est décrété dans Vilnius.
En début d'après-midi, une foule de 80 000 personnes se rassemble devant le bâtiment du Soviet suprême de Lituanie. Malgré les rumeurs disant que les militaires ont lancé un ultimatum et exigent que les manifestants évacuent la Place de l'Indépendance, personne ne bouge. Les cloches des églises catholiques et orthodoxes de toute la Lituanie se mettent à sonner.

Riga
Sur la place centrale de la ville, des milliers de personnes viennent exprimer leur solidarité avec la Lituanie.

Vilnius
Devant le Soviet suprême de Lituanie réuni en session plénière, son président, Vytautas Landsbergis, annonce que le chef du parlement russe, Boris Eltsine, exige le retrait des unités fédérales de parachutistes de Lituanie, tandis que le ministre soviétique de la Défense, le maréchal Iazov, affirme ne pas avoir donné l'ordre de tirer sur des civils. Pour Landsbergis, “on se demande qui gouverne vraiment, entre Gorbatchev, les généraux et le Politburo”.

Tallin (Estonie)
Les présidents des Soviets suprêmes de Lituanie, de Lettonie, d'Estonie et de Russie signent un appel commun au Secrétaire général de l'ONU, demandant d'organiser une conférence internationale sur le règlement des problèmes dans les pays Baltes.

14 janvier
Vilnius
La Lituanie prend le deuil en mémoire des morts de la veille.

Moscou
Au matin, Boris Pougo, le ministre soviétique de l'Intérieur, déclare lors d'une séance du Soviet suprême de l'URSS qu'aucun des dirigeants du pays n'a donné l'ordre aux unités de militaires basées à Vilnius d'employer la force.

Vilnius
Des barricades sont dressées pour barrer l'accès à la place où s'élèvent les locaux du Soviet suprême de Lituanie. Sur le grillage métallique, les habitants accrochent leurs passeports soviétiques, livrets militaires, médailles, et des tracts.

Riga
Les communistes exigent la démission du gouvernement et du Soviet suprême de Lettonie et menacent de lancer une grève générale. Les écoles de la capitale sont fermées.

Moscou
Le soir, lors d'une nouvelle séance du Soviet suprême de l'URSS, Mikhaïl Gorbatchev rapporte avoir discuté plusieurs heures avec Vytautas Landsbergis. Le président soviétique qualifie cet échange d'“improductif” et constate : “J'en ai retiré l'impression qu'il sera très difficile de trouver la voie du dialogue”.

15 janvier
Riga
La population tient un grand rassemblement dans le centre de la ville. Le président du Soviet suprême de Lettonie, Anatoli Gorbounov, a obtenu du général Kouzmine, commandant du district militaire de la Baltique, dont l'état-major se trouve à Riga, la garantie orale que l'armée n'interviendrait pas.

16 janvier

Riga
Sur le pont de Vetsmilgravis (le quartier qui abrite la base des OMON), les “Bérets noirs” ouvrent le feu sur cinq véhicules, une ambulance, et incendient un minibus. Une personne mourra de ses blessures.

20 janvier

Riga
Dans la soirée, des OMON de Riga, dirigés par Tcheslav Mlynnik, s'emparent du ministère de l'Intérieur de Lettonie, faisant 4 morts et 9 blessés. Ce n'est qu'au cours de la nuit que le Premier ministre, Ivars Godmanis, parvient à obtenir le retour des OMON à leur base.

Le jour où les régimes claniques ont pris le dessus

Courrier International, Dossier URSS, de 1991-2011


En 1991, dédaignés par l'Europe, négligés par la Russie, les républiques soviétiques du Kazakhstan, du Kirghizstan, de l'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Turkménistan ont créé de nouveaux Etats pratiquement ex-nihilo.

Au début de cette année, en ouvrant le Helsingin Sanomat, le plus grand quotidien de Finlande, je suis tombée sur une photo saisissante, celle d'un énorme char soviétique sous les chenilles duquel apparaissait une paire de jambes. Accompagnait cette image une interview de deux Lituaniennes qui avaient survécu par miracle à l'entrée des chars soviétiques dans Vilnius, en 1991. 
Cette histoire a littéralement été celle d'une survie physique, celle de la construction d'un pays petit mais uni - la Lituanie - de son adhésion à l'Union européenne et aux structures européennes en tant que membre à part entière. La Lituanie reste pauvre et vulnérable, mais pour elle comme pour les deux autres pays Baltes, l'indépendance a été un tournant décisif. Elle semble désormais installée pour toujours, et malgré tout, malgré les aléas du cours de l'euro et les humiliations que lui impose l'Europe, la Lituanie se sent beaucoup mieux que du temps où elle faisait partie de l'Union soviétique. Sur place, aucune nostalgie.
En Asie centrale, la question de l'indépendance ne se pose pas de la même manière. Là, ce qu'on peut se demander c'est si les choses se sont améliorées durant les deux décennies écoulées. Les dernières années du pouvoir soviétique ont été accompagnées d'un tel chaos qu'aucune personne normalement constituée ne saurait les regretter. Le système soviétique, même si certains disent le contraire, était condamné à s'effondrer un jour ou l'autre. Cela s'est produit plus tôt que ce que beaucoup pensaient, et avec beaucoup plus de fracas que l'avaient envisagé les experts les plus pessimistes. L'onde de choc de cet éclatement a rendu indépendants tous les pays d'Asie centrale [Kazakhstan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizstan], sans que ceux-ci aient eu à se battre  pour l'arracher ou aient connu un nationalisme organisé. Sur place, il n'y avait que le désir de l'intelligentsia de se sentir plus libre, et voilà que soudain, ces "stans" [pays] obtenaient ce qu'ils n'auraient jamais pu espérer, l'indépendance.

Depuis, en l'espace de vingt ans, les pays d'Asie centrale ont remplacé l'ancien système par leurs propres régimes, claniques, corrompus et opaques. Le Kirghizstan est le seul où élections et émeutes populaires répétées ont joué un certain rôle dans la vie politique. Ailleurs, tout se déroule en coulisse, par le biais de liens d'amitié, de corruption et de relations familiales. La justification tacite de cet état de fait est la suivante : "Gardons les anciens dirigeant qui ont déjà volé tant et plus, un nouveau pouvoir pourrait être pire". Aujourd'hui, après toutes ces années, il est facile de dire que l'Asie centrale aurait eu besoin qu'on lui accorde plus d'aide et d'attention au début des années 1990. Mais à cette époque, l'Europe et les Etats-Unis considéraient comme primordial de régler la situation d'une Yougoslavie en train d'imploser. L'ex-URSS était alors vue comme un trou noir, une vaste pagaille dont c'était à la Russie de s'occuper. Or, en 1991, elle n'en avait pas la capacité. C'est ainsi que les pays d'Asie centrale ont eu une opportunité en or, une chance de bâtir ex nihilo des Etats indépendants. Ils ont à la fois brillamment réussi et échoué. 

Visiter Astana [la nouvelle capitale du Kazakhstan] constitue un vrai choc. Mais toute cette pompe ne permet pas de dissiper un sentiment de malaise. On se retrouve dans une sorte de Manhattan posée au milieu des steppes, et où les prix sont exorbitants. C'est une ville pour privilégiés. Le Kazakhstan est devenu une source de gêne pour l'Occident. En 2007, lorsque j'ai émis des réserves sur le fait qu'il prenne [pour une année] la tête de l'OSCE [ce qui s'est produit en 2010], les spécialistes m'ont rétorqué qu'il fallait essayer de lui donner une chance. On a prétendu que la présidence de l'OSCE inciterait les Kazakhs à entreprendre des réformes démocratiques. On a vu le résultat. Nazarbaev et son entourage ne semblent pas avoir la moindre intention de réformer le pays. 

Obama s'attaque au chômage, les républicains s'attaquent à Obama

Paul Krugman, The New York Times,  09/09/2011.

Commençons par le commencement : j'ai été agréablement surpris par le nouveau plan pour l'emploi d'Obama, nettement plus audacieux et mieux pensé que je ne l'aurais cru. Il n'a certes pas l'audace du plan que je souhaiterais dans un monde idéal. Mais s'il est effectivement adopté, il devrait porter un sérieux coup au chômage.

Naturellement, il y a peu de chances qu'il soit adopté, étant donné l'opposition des républicains. Et il y a peu de chances que quelque chose soit fait pour aider les 14 millions d'Américains sans emploi. Ce qui est à la fois une tragédie et un scandale.
Le plan Obama prévoit 200 milliards de dollars de dépenses nouvelles (qui financeront en majorité des choses dont nous avons besoin, comme des écoles rénovées, des réseaux de transports, ou moins de suppressions de postes dans l'enseignement), et 240 milliards d'allégements fiscaux. Des sommes impressionnantes à première vue, mais qui en réalité ne le sont pas. Les effets persistants de la crise, depuis l'éclatement de la bulle immobilière et l'endettement excessif des ménages qui a suivi, créent chaque année un manque à gagner de quelque 1 000 milliards de dollars pour l'économie américaine ; or le plan Obama, qui ne portera pas tous ses fruits dès la première année, ne ferait que combler partiellement ce manque. Il est difficile de savoir, en particulier, si les baisses d'impôt stimuleront véritablement la consommation.
Pourtant, ce plan serait nettement mieux que rien, et certaines de ses mesures, dont l'objectif est précisément d'inciter à l'embauche, pourraient se révéler proportionnellement très bénéfiques au marché de l'emploi. Comme je l'ai dit, il est bien plus audacieux et mieux pensé que je ne m'y attendais. Il est évident que Barack Obama a parfaitement saisi l'ampleur du désastre sur le terrain de l'emploi.
Reste que son plan n'a guère de chance d'être adopté, en raison de l'opposition des républicains. Il faut souligner à quel point cette opposition s'est durcie au fil du temps, alors même que la détresse des chômeurs s'aggravait.
Début 2009, tandis que le nouveau gouvernement Obama essayait de faire face à la crise dont il avait hérité, les critiques venues de la droite s'axaient principalement autour de deux grandes lignes. Primo, les conservateurs estimaient qu'il fallait davantage recourir à la politique monétaire qu'à la politique budgétaire - autrement dit, que la lutte contre le chômage devait être laissée à la Réserve fédérale [en faisant marcher la planche à billets]. Secundo, les mesures budgétaires, selon eux, devaient plutôt prendre la forme d'allégements fiscaux que de programmes exceptionnels de dépenses.
Aujourd'hui en revanche, les républicains les plus en vue s'opposent aux allégements fiscaux, en tout cas s'ils profitent aux travailleurs américains plutôt qu'aux riches et aux entreprises.
Et ils s'opposent également aux mesures de politique monétaire. Lors du débat entre candidats républicains organisé le 7 septembre, Mitt Romney a déclaré que s'il était élu, il chercherait un successeur à Ben Bernanke, le président de la Fed, au motif notamment que ce dernier s'était efforcé de faire quelque chose (mais de façon insuffisante) contre le chômage. Et cela fait de Romney un modéré selon les critères républicains, puisque Rick Perry, son principal rival à l'investiture, a estimé quant à lui que Ben Bernanke méritait une "sacrée correction".
Autant dire qu'aujourd'hui, les républicains sont grosso modo opposés à tout ce qui pourrait venir en aide aux chômeurs. Mitt Romney a certes produit un "plan pour l'emploi" fort léché et ronflant, mais il ressemble plus à une liste de 59 points en forme de coquille vide - sans absolument rien, en tout état de cause, qui puisse justifier l'affirmation quasi mégalomaniaque selon laquelle il créerait pas moins de 11 millions d'emplois en quatre ans.
La bonne nouvelle, en somme, c'est qu'en se montrant plus audacieux qu'on ne s'y attendait, Barack Obama a sans doute créé un terrain favorable à un débat politique sur la création d'emplois. Mais au bout du compte, rien ne sera fait tant que les Américains n'exigeront pas que des mesures soient prises.

Discours de Barack Obama, Le Caire, 4 Juin 2009

"Je vous remercie. Bonjour à tous. C’est pour moi un honneur de me trouver dans cette ville intemporelle qu’est le Caire et d’être reçu par deux institutions remarquables. Depuis plus de mille ans, Al-Azhar est un haut lieu de transmission du savoir dans le monde musulman et, depuis plus d’un siècle, l’université du Caire est une source de progrès pour l’Égypte. Ensemble, vous représentez l’harmonie entre la tradition et le progrès. Je vous suis reconnaissant de votre hospitalité et de celle du peuple égyptien. Je suis fier aussi de vous transmettre la bonne volonté du peuple américain et une salutation de paix de la part des communautés musulmanes de mon pays : « Salamm aleïkoum ». (Applaudissements)

Notre rencontre survient à un moment de grande tension entre les États-Unis et les musulmans du monde entier - tension ancrée dans des forces historiques qui dépassent le cadre des débats actuels de politique générale. Les relations entre l’islam et l’Occident se caractérisent par des siècles de co-existence et de coopération, mais aussi par des conflits et des guerres de religion. Dans un passé relativement plus récent, les tensions ont été nourries par le colonialisme qui a privé beaucoup de musulmans de droits et de chances de réussir, ainsi que par une guerre froide qui s’est trop souvent déroulée par acteurs interposés, dans des pays à majorité musulmane et au mépris de leurs propres aspirations. En outre, les mutations de grande envergure qui sont nées de la modernité et de la mondialisation ont poussé beaucoup de musulmans à voir dans l’Occident un élément hostile aux traditions de l’islam.

Des extrémistes violents ont exploité ces tensions auprès d’une minorité de musulmans, qui pour être réduite n’en est pas moins puissante. Les attentats du 11 septembre 2001, conjugués à la poursuite des actions violentes engagées par ces extrémistes contre des civils, ont amené certains dans mon pays à juger l’islam inévitablement hostile non seulement à l’Amérique et aux pays occidentaux, mais aussi aux droits de l’homme. La peur et la méfiance se sont ainsi accentuées.

Tant que notre relation restera définie par nos différences, nous donnerons du pouvoir à ceux qui sèment la haine et non la paix et qui encouragent le conflit au lieu de la coopération qui peut aider nos deux peuples à connaître la justice et la prospérité. C’est ce cycle de la méfiance et de la discorde qui doit être brisé.

Je suis venu ici au Caire en quête d’un nouveau départ pour les États-Unis et les musulmans du monde entier, un départ fondé sur l’intérêt mutuel et le respect mutuel, et reposant sur la proposition vraie que l’Amérique et l’islam ne s’excluent pas et qu’ils n’ont pas lieu de se faire concurrence. Bien au contraire, l’Amérique et l’islam se recoupent et se nourrissent de principes communs, à savoir la justice et le progrès, la tolérance et la dignité de chaque être humain.

Ce faisant, je reconnais que le changement ne se produira pas du jour au lendemain. Il y a eu beaucoup de publicité à propos de mon discours, mais aucun discours ne peut éradiquer des années de méfiance, et dans l’espace de cet après-midi, je n’ai pas la réponse non plus aux questions complexes qui nous ont menés au point où nous sommes maintenant. Mais je suis convaincu que pour aller de l’avant, nous devons dire ouvertement entre nous ce que nous recelons dans notre coeur et que trop souvent nous n’exprimons qu’à huis clos. Nous devons consentir un effort soutenu afin de nous mettre à l’écoute et d’apprendre les uns des autres ; de nous respecter mutuellement et de rechercher un terrain d’entente. Comme le dit le Saint Coran, « Crains Dieu et dis toujours la vérité ». (Applaudissements) C’est ce que je vais essayer de faire aujourd’hui - de dire la vérité de mon mieux, rendu humble par la tâche qui nous attend et ferme dans ma conviction que les intérêts que nous partageons parce que nous sommes des êtres humains sont beaucoup plus puissants que les forces qui nous séparent.

Cette conviction s’enracine en partie dans mon vécu. Je suis chrétien, mais mon père était issu d’une famille kényane qui compte des générations de musulmans. Enfant, j’ai passé plusieurs années en Indonésie où j’ai entendu l’appel à la prière (azan) à l’aube et au crépuscule. Jeune homme, j’ai travaillé dans des quartiers de Chicago où j’ai côtoyé beaucoup de gens qui trouvaient la dignité et la paix dans leur foi musulmane.

Féru d’histoire, je sais aussi la dette que la civilisation doit à l’islam. C’est l’islam - dans des lieux tels qu’Al-Azhar -, qui a brandi le flambeau du savoir pendant de nombreux siècles et ouvert la voie à la Renaissance et au Siècle des Lumières en Europe. C’est de l’innovation au sein des communautés musulmanes (Applaudissements) - c’est de l’innovation au sein des communautés musulmanes que nous viennent l’algèbre, le compas et les outils de navigation, notre maîtrise de l’écriture et de l’imprimerie, notre compréhension des mécanismes de propagation des maladies et des moyens de les guérir. La culture islamique nous a donné la majesté des arcs et l’élan des flèches de pierre vers le ciel, l’immortalité de la poésie et l’inspiration de la musique, l’élégance de la calligraphie et la sérénité des lieux de contemplation. Et tout au long de l’histoire, l’islam a donné la preuve, en mots et en actes, des possibilités de la tolérance religieuse et de l’égalité raciale. (Applaudissements)

Je sais aussi que l’islam a de tout temps fait partie de l’histoire de l’Amérique. C’est le Maroc qui fut le premier pays à reconnaître mon pays. En signant le traité de Tripoli en 1796, notre deuxième président, John Adams, nota ceci : « Les États-Unis n’ont aucun caractère hostile aux lois, à la religion ou la tranquillité des musulmans. »

Depuis notre fondation, les musulmans américains enrichissent les États-Unis. Ils ont combattu dans nos guerres, servi le gouvernement, pris la défense des droits civils, créé des entreprises, enseigné dans nos universités, brillé dans le domaine des sports, remporté des prix Nobel, construit notre plus haut immeuble et allumé le flambeau olympique. Et, récemment, le premier Américain musulman qui a été élu au Congrès a fait le serment de défendre notre Constitution sur le Coran que l’un de nos Pères fondateurs, Thomas Jefferson, conservait dans sa bibliothèque personnelle. (Applaudissements) J’ai donc connu l’islam sur trois continents avant de venir dans la région où il a été révélé pour la première fois. Cette expérience guide ma conviction que le partenariat entre l’Amérique et l’islam doit se fonder sur ce qu’est l’islam, et non sur ce qu’il n’est pas, et j’estime qu’il est de mon devoir de président des États-Unis de combattre les stéréotypes négatifs de l’islam où qu’ils se manifestent. (Applaudissements)

Or ce même principe doit s’appliquer à la façon dont l’Amérique est perçue par les musulmans. Tout comme les musulmans ne se résument pas à un stéréotype grossier, l’Amérique n’est pas le stéréotype grossier d’un empire qui n’a d’autre intérêt que le sien. Les États-Unis représentent l’une des plus grandes sources de progrès que le monde ait connues. Nous sommes nés d’une révolution contre un empire ; nous sommes fondés sur l’idéal de l’égalité de tous et nous avons versé de notre sang et combattu pendant des siècles pour donner un sens à ces mots - sur notre territoire et à travers le monde. Nous sommes façonnés par chaque culture, issus des quatre coins du monde et acquis à un concept simple : E pluribus unum : « De plusieurs peuples, un seul ».

Eh bien, qu’un Américain d’origine africaine et ayant pour nom Barack Hussein Obama ait pu être élu président a fait couler beaucoup d’encre. (Applaudissements)

Mais mon parcours n’est pas unique. Le rêve des chances de réussir ne s’est pas concrétisé pour tous en Amérique, mais cette promesse demeure pour tous ceux qui débarquent sur nos rivages - y compris les près de sept millions de musulmans américains qui vivent aujourd’hui dans notre pays et dont le revenu et le niveau d’éducation, disons-le, sont supérieurs à la moyenne. (Applaudissements) En outre, la liberté en Amérique est indissociable de celle de pratiquer sa religion. C’est pour cette raison que chaque État de notre union compte au moins une mosquée et qu’on en dénombre plus de mille deux cents sur notre territoire. C’est pour cette raison que le gouvernement des États-Unis a recours aux tribunaux pour protéger le droit des femmes et des filles à porter le hijab et pour punir ceux qui leur contesteraient ce droit. (Applaudissements)

Le doute n’est pas permis : l’islam fait bel et bien partie de l’Amérique. Et je suis convaincu que l’Amérique contient en elle la proposition vraie qu’indépendamment de notre race, de notre religion ou de notre condition sociale nous aspirons tous à la même chose - vivre dans la paix et la sécurité ; faire des études et travailler dans la dignité ; aimer notre famille, notre communauté et notre Dieu. C’est cela que nous avons en commun. C’est l’espoir de l’humanité tout entière.

Certes, notre tâche commence seulement quand nous avons pris conscience de notre humanité commune. Ce n’est pas par des paroles que nous pouvons répondre aux besoins de nos peuples. Nous ne pourrons les satisfaire qu’à condition d’agir avec audace dans les années à venir et de comprendre que nous nous heurtons à des défis communs et qu’en nous abstenant d’y faire face c’est à nous tous que nous faisons tort.
Car nous en avons fait récemment l’expérience : quand le système financier d’un pays particulier s’affaiblit, la prospérité est mise à mal partout. Quand une nouvelle grippe infecte un seul être humain, nous courons tous un risque. Quand un pays particulier tente de se doter d’une arme nucléaire, le risque d’attaque nucléaire augmente dans toutes les nations. Quand des extrémistes violents sévissent dans une certaine région de montagnes, les populations situées par-delà l’océan sont mises en danger. Et quand des innocents en Bosnie et au Darfour sont massacrés, c’est notre conscience collective qui est souillée. (Applaudissements)

Vivre ensemble dans le monde, voilà ce que cela signifie au vingt et unième siècle. C’est la responsabilité que nous avons les uns envers les autres en tant qu’êtres humains.

C’est une responsabilité difficile à assumer. Car l’histoire de l’humanité est trop souvent le récit de nations et de tribus - et admettons-le, de religions - qui s’asservissent en visant leur propre intérêt. Mais dans cette ère nouvelle, une telle attitude est auto-destructrice. Au vu de notre interdépendance, tout ordre mondial qui élève un pays ou un groupe d’individus au détriment d’un autre est inévitablement voué à l’échec. Quelle que soit notre opinion du passé, nous ne devons pas en être prisonniers. Nous devons régler nos problèmes par le biais du partenariat et partager nos progrès. (Applaudissements)

Il ne faut pas en conclure que nous devrions faire sembler d’ignorer les sources de tension. C’est l’inverse qui nous est suggéré : nous devons affronter carrément ces tensions. Dans cet esprit, permettez-moi de m’exprimer aussi clairement et aussi simplement que possible sur certaines questions précises auxquelles nous devons maintenant faire face ensemble.

La première est celle de l’extrémisme violent sous toutes ses formes.
À Ankara, j’ai fait clairement savoir que l’Amérique n’est pas - et ne sera jamais - en guerre contre l’islam. (Applaudissements)

En revanche, nous affronterons inlassablement les extrémistes violents qui font peser une menace grave sur notre sécurité. Parce que nous rejetons ce que rejettent les gens de toutes confessions : le meurtre d’hommes, de femmes et d’enfants innocents. Et il m’incombe d’abord, en tant que président, de protéger le peuple américain. La situation qui prévaut en Afghanistan illustre les objectifs de l’Amérique et la nécessité de collaborer tous ensemble. Voilà maintenant plus de sept ans, forts d’un large appui de la communauté internationale, les États-Unis ont donné la chasse à al-Qaïda et aux talibans. Nous avons agi de la sorte non par choix, mais par nécessité. Je suis conscient que d’aucuns mettent encore en question ou même justifient les événements du 11 Septembre. Mais soyons clairs : Al-Qaïda a tué près de trois mille personnes ce jour-là. Ses victimes étaient des hommes, des femmes et des enfants innocents, venus d’Amérique et de beaucoup d’autres pays, et qui n’avaient rien fait à personne. Mais al-Qaïda a choisi de les tuer sans merci, de revendiquer les attentats et il réaffirme aujourd’hui encore sa détermination à commettre d’autres meurtres à une échelle massive. Ce réseau a des membres dans de nombreux pays et il essaie d’élargir son rayon d’action. Il ne s’agit pas là d’opinions à débattre - ce sont des faits à combattre.

Eh bien, ne vous y trompez pas : nous ne voulons pas laisser nos soldats en Afghanistan. Nous ne cherchons pas - nous ne cherchons pas à y établir des bases militaires. Il nous est douloureux pour l’Amérique de perdre ses jeunes gens et ses jeunes femmes. La poursuite de ce conflit s’avère coûteuse et politiquement difficile. Nous ne demanderions pas mieux que de rapatrier tous nos soldats, jusqu’au dernier, si nous avions l’assurance que l’Afghanistan et maintenant le Pakistan n’abritaient pas d’éléments extrémistes déterminés à tuer le plus grand nombre possible d’Américains. Mais ce n’est pas encore le cas.

C’est pourquoi nous oeuvrons en partenariat avec une coalition de 46 pays. Malgré les couts en cause, la volonté de l’Amérique ne va pas fléchir. Assurément, aucun d’entre nous ne doit tolérer ces éléments extrémistes. Ils ont fait des morts dans beaucoup de pays. Ils ont tué des gens de toutes religions - et surtout des musulmans. Leurs actions sont irréconciliables avec les droits de l’homme, le progrès des nations et l’islam. Le Saint Coran nous enseigne que quiconque tue un innocent tue l’humanité tout entière, (Applaudissements) et que quiconque sauve quelqu’un, sauve l’humanité tout entière. (Applaudissements)
La foi enracinée de plus d’un milliard d’habitants de la planète est tellement plus vaste que la haine étroite de quelques-uns. Quand il s’agit de combattre l’extrémisme violent, l’islam ne fait pas partie du problème - il constitue une partie importante de la marche vers la paix. Nous savons en outre que la puissance militaire ne va pas à elle seule résoudre les problèmes qui se posent en Afghanistan et au Pakistan. C’est pour cette raison que nous comptons investir 1,5 milliard de dollars par an, au cours des cinq prochaines années, dans la construction d’écoles et d’hôpitaux, de routes et d’entreprises, en partenariat avec les Pakistanais, ainsi que des centaines de millions de dollars pour venir en aide aux personnes déplacées. C’est pour cette raison encore que nous fournissons plus de 2,8 milliards de dollars aux Afghans afin de les aider à développer leur économie et à prodiguer les services dont la population a besoin.

Je voudrais aussi aborder le dossier de l’Irak.
Contrairement à la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak est le résultat d’un choix, lequel a provoqué des différences marquées dans mon pays et à travers le monde. Tout en étant convaincu que le peuple irakien a gagné au bout du compte à être libéré de la tyrannie de Saddam Hussein, je crois aussi que les événements en Irak ont rappelé à l’Amérique la nécessité de recourir à la diplomatie et de construire un consensus international pour résoudre ses problèmes à chaque fois que c’est possible. (Applaudissements) De fait, nous avons en mémoire les propos de Thomas Jefferson, qui disait ceci : « J’espère que notre sagesse grandira avec notre puissance et qu’elle nous enseignera que moins nous utiliserons cette dernière, plus elle fera de l’effet. »

Aujourd’hui, l’Amérique possède une double responsabilité : aider l’Irak à se forger un avenir meilleur et laisser l’Irak aux Irakiens. J’ai fait clairement savoir au peuple irakien (Applaudissements) que nous ne cherchons nullement à établir des bases en Irak ni à revendiquer son territoire ou ses ressources. La souveraineté de l’Irak appartient à l’Irak. C’est pour cette raison que j’ai ordonné le retrait de nos brigades de combat d’ici au mois d’août de l’année prochaine. C’est pour cette raison que nous allons honorer l’accord que nous avons conclu avec le gouvernement irakien, élu démocratiquement, concernant le retrait de nos troupes de combat des villes irakiennes d’ici au mois de juillet et de toutes nos troupes du territoire irakien d’ici à 2012. (Applaudissements) Nous aiderons l’Irak à former ses forces de sécurité et à développer son économie. Mais c’est en tant que partenaires, et jamais en tant que protecteurs, que nous apporterons notre appui à un Irak sécurisé et uni.

Enfin, tout comme l’Amérique ne tolérera jamais la violence des extrémistes, elle ne doit jamais altérer ni oublier ses principes. Les événements du 11 Septembre ont infligé un traumatisme considérable à notre pays. La peur et la colère qu’ils ont provoquées sont compréhensibles, mais dans certains cas ces sentiments nous ont conduits à agir de manière contraire à nos traditions et à nos idéaux. Nous prenons maintenant des mesures concrètes pour rectifier cette situation. J’ai interdit sans équivoque l’usage de la torture par les États-Unis et j’ai ordonné la fermeture de la prison à Guantanamo Bay d’ici au début de l’année prochaine. (Applaudissements)

L’Amérique va donc se défendre, dans le respect de la souveraineté des nations et de la primauté du droit. Et nous agirons en ce sens en partenariat avec les communautés musulmanes qui sont elles aussi menacées. Plus vite les extrémistes seront isolés et malvenus dans les communautés musulmanes, plus vite nous connaîtrons tous une sécurité accrue.

La deuxième grande source de tension que nous devons aborder concerne la situation entre les Israéliens, les Palestiniens et le monde arabe.
Les liens solides qui unissent l’Amérique à Israël sont bien connus. Cette relation est immuable. Elle se fonde sur des liens culturels et historiques et sur la reconnaissance du fait que l’aspiration à un territoire juif est ancré dans un passé tragique indéniable.

À travers le monde, le peuple juif a été persécuté pendant des siècles et l’antisémitisme en Europe a atteint son paroxysme avec un holocauste sans précédent. Demain, je me rendrai à Buchenwald, qui faisait partie d’un réseau de camps où des Juifs étaient réduits à l’esclavage, torturés, abattus et envoyés aux chambres à gaz par le Troisième Reich.

Six millions de Juifs ont été tués - soit un nombre supérieur à celui de toute la population juive d’Israël aujourd’hui. Il est injustifié, ignorant et odieux de nier ce fait. Il est profondément injuste de menacer Israël de destruction, ou répéter de vils stéréotypes sur les Juifs et cela ne sert qu’à évoquer dans l’esprit des Israéliens cette page la plus douloureuse de leur passé et à empêcher de prendre racine la paix à laquelle ont droit les habitants de cette région.

Ceci dit, il est également indéniable que le peuple palestinien, qui regroupe des musulmans et des chrétiens, a souffert en quête d’un territoire. Depuis plus de soixante ans, il connaît la douleur de la dislocation. Beaucoup attendent dans des camps de réfugiés en Cisjordanie, à Gaza et dans des terres voisines de connaître une vie de paix et de sécurité à laquelle ils n’ont jamais eu le droit de goûter. Ils subissent au quotidien les humiliations - grandes et petites - qui accompagnent l’occupation. Il n’est pas permis d’en douter : la situation du peuple palestinien est intolérable. L’Amérique ne tournera pas le dos à l’aspiration légitime du peuple palestinien à la dignité, aux chances de réussir et à un État à lui. (Applaudissements)

Depuis des dizaines d’années, une impasse persiste : deux peuples aux aspirations légitimes, chacun marqué par un passé douloureux qui rend un compromis insaisissable. Il est aisé de pointer un doigt accusateur : les Palestiniens peuvent attirer l’attention sur la dislocation consécutive à la fondation d’Israël, et les Israéliens peuvent dénoncer l’hostilité et les attaques dont le pays a de tout temps fait l’objet à l’intérieur même de ses frontières et par-delà. Mais si nous examinons ce conflit à travers le prisme de l’une ou de l’autre partie, nos oeillères nous cacheront la vérité : la seule résolution consiste à répondre aux aspirations des uns et des autres en créant deux États, où Israéliens et Palestiniens vivront chacun dans la paix et la sécurité. C’est dans l’intérêt d’Israël, dans l’intérêt de la Palestine, dans l’intérêt de l’Amérique, dans l’intérêt du monde. C’est pourquoi je compte personnellement poursuivre un tel aboutissement avec toute la patience et le dévouement qu’exige cette tâche. (Applaudissements)

Les obligations qu’ont acceptées les parties en vertu de la Feuille de route sont claires. Pour que règne la paix, il est temps que les parties - et que nous tous -se montrent à la hauteur de leurs responsabilités.

Les Palestiniens doivent renoncer à la violence. La résistance sous forme de violence et de massacre n’aboutira pas. Les Noirs en Amérique ont souffert du fouet quand ils étaient esclaves et de l’humiliation de la ségrégation. Mais ce ne fut pas la violence qui leur a finalement permis d’obtenir l’égalité des droits dans son intégrité. Ce fut la persévérance ferme et pacifique pour les idéaux au coeur même de la création de l’Amérique. Cette même histoire peut être racontée par des peuples de l’Afrique du sud à l’Asie du sud ; de l’Europe de l’est à l’Indonésie. C’est une histoire avec une simple vérité : la violence ne mène nulle part. Lancer des roquettes contre des enfants israéliens endormis ou tuer des vieilles femmes dans un autobus, n’est pas un signe de courage ni de force. Ce n’est pas de cette manière que l’on revendique l’autorité morale ; c’est ainsi qu’on l’abdique.

Le moment est maintenant venu pour les Palestiniens de se concentrer sur ce qu’ils peuvent bâtir. L’Autorité palestinienne doit développer ses capacités de gouverner avec des institutions qui répondent aux besoins de son peuple. Hamas jouit du soutien de certains Palestiniens, mais il doit aussi reconnaitre ses responsabilités. Il doit jouer un rôle pour réaliser les aspirations des Palestiniens et unir le peuple palestinien. Hamas doit mettre fin à la violence, reconnaître les accords passés et reconnaître le droit à l’existence d’Israël. En même temps, Israël doit reconnaître que tout comme le droit à l’existence d’Israël ne peut être nié, il en est de même pour la Palestine. Les États-Unis n’acceptent pas la légitimité de la continuation des colonies israéliennes. (Applaudissements) Ces constructions constituent une violation des accords passés et portent préjudice aux efforts de paix. Le moment est venu pour que ces colonies cessent. (Applaudissements)

Israël doit aussi honorer ses obligations et assurer que les Palestiniens puissent vivre, travailler et développer leur société. Tout comme elle ravage les familles palestiniennes, la continuation de la crise humanitaire à Gaza ne sert pas à promouvoir la sécurité d’Israël, l’absence persistante de chances de réussite en Cisjordanie non plus. Des améliorations dans la vie de tous les jours du peuple palestinien doivent constituer une partie cruciale de la feuille de route pour la paix.

Enfin, les États arabes doivent reconnaître que l’initiative arabe de paix a été un début important, mais non la fin de leurs responsabilités. Le conflit israélo-arabe ne devrait plus être utilisé pour distraire les populations des États arabes des autres problèmes. Il doit au contraire servir de raison pour aider les populations palestiniennes à développer les institutions qui permettront d’asseoir leur État ; à reconnaître la légitimité d’Israël ; et à opter pour le progrès au lieu de se polariser de manière autodestructive sur le passé.
L’Amérique alignera ses politiques avec ceux qui veulent la paix. Nous dirons en public ce que nous dirons en privé aux Israéliens, aux Palestiniens et aux Arabes. (Applaudissements)

Nous ne pouvons pas imposer la paix. Mais en privé, de nombreux Musulmans reconnaissent qu’Israël ne disparaitra pas ; de même, de nombreux Israéliens reconnaissent la nécessité d’un État palestinien. Le moment est venu de prendre une initiative, sur ce que tous savent être vrai.
Trop de larmes ont coulé. Trop de sang a été versé. Nous avons tous la responsabilité d’oeuvrer pour le jour où les mères d’Israéliens et de Palestiniens pourront voir leurs enfants grandir sans peur ; où la terre sainte de trois grandes religions sera ce lieu de paix que Dieu avait voulu ; où Jérusalem sera un lieu de résidence sur et permanent pour les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans et un lieu où tous les enfants d’Abraham pourront se côtoyer dans la paix comme dans l’histoire d’Israh, (Applaudissements), - comme dans l’histoire d’Israh, de Moïse, de Jésus et de Mohammed (que la paix soit avec eux) unis dans la prière. (Applaudissements)

La troisième source de tension est nos intérêts en commun à l’égard des droits et des responsabilités des États concernant les armes nucléaires.
Cette question a constitué une source de tension entre les Etats-Unis et la République islamique d’Iran. Pendant de nombreuses années, l’Iran s’est défini en partie par son opposition à mon pays et il existe en effet un passé tumultueux entre nos deux pays. En pleine Guerre froide, les États-Unis ont joué un rôle dans le renversement d’un gouvernement iranien démocratiquement élu. Depuis la révolution islamique, l’Iran a joué un rôle dans la prise d’otages et dans des actes de violence à l’encontre des troupes et des civils américains. Cette histoire est bien connue. Plutôt que de rester emprisonné par le passé, j’ai dit clairement au peuple et aux dirigeants iraniens que mon pays est prêt à aller de l’avant. La question qui se pose maintenant n’est pas de savoir à quoi l’Iran s’oppose, mais plutôt quel est l’avenir qu’il souhaite bâtir.

Je comprends qu’il sera difficile de surmonter des décennies de méfiance, mais nous allons procéder avec courage, rectitude et fermeté. Il y aura de nombreux problèmes à examiner entre nos deux pays et nous sommes disposés à aller de l’avant sans conditions préalables, sur la base d’un respect mutuel. Mais il est clair pour tous ceux préoccupés par les armes nucléaires que nous sommes arrivés à un tournant décisif. Ce n’est pas simplement dans l’intérêt des États-Unis, c’est pour empêcher une course aux armes nucléaires susceptible d’entraîner cette région sur une voie extrêmement dangereuse .

Je comprends ceux qui protestent contre le fait que certains pays possèdent des armes que d’autres ne possèdent pas. Aucun État ne devrait décider et choisir qui sont les pays à avoir des armes nucléaires. C’est pourquoi je réaffirme fermement l’engagement de l’Amérique à vouloir un monde dans lequel aucun pays ne possède d’armes nucléaires. (Applaudissements) Et chaque pays, y compris l’Iran, devrait avoir le droit d’avoir accès à l’énergie nucléaire pacifique s’il respecte ses engagements dans le cadre du Traité de non-prolifération nucléaire. Cet engagement est au coeur du Traité et il doit être pris par tous ceux qui y souscrivent pleinement. J’espère que tous les pays de la région pourront partager cet objectif.

Le quatrième point je vais aborder est la démocratie. (Applaudissements)
Je sais - je sais qu’il y a eu une polémique, au cours des récentes années, au sujet de la promotion de la démocratie et qu’une grande partie de cette controverse est liée à la guerre en Irak. Par conséquent, permettez-moi de le dire clairement : aucun système de gouvernement ne peut ou ne devrait être imposé par un pays à un autre.

Toutefois, cela ne diminue pas mon engagement à l’égard des gouvernements qui reflètent la volonté du peuple. Chaque nation donne naissance à ce principe de sa propre manière, en fonction des traditions de son propre peuple. L’Amérique ne prétend pas savoir ce qui est le mieux pour tout et chacun, tout comme nous ne voudrions pas prétendre décider des résultats d’une élection pacifique. Mais j’ai la ferme conviction que tous les peuples aspirent à certaines choses : la possibilité de s’exprimer et d’avoir une voix dans la façon dont ils sont gouvernés ; la confiance en l’État de droit et l’application équitable de la justice ; un gouvernement qui est transparent et qui ne vole pas ce qui appartient à son peuple ; la liberté de vivre selon leur choix. Il ne s’agit pas simplement d’idéaux américains, il s’agit des droits de l’homme et c’est pourquoi nous les encouragerons dans le monde entier. (Applaudissements)

C’est vrai, il n’y a pas de route directe pour honorer cette promesse. Mais une chose est claire, les gouvernements qui défendent ces droits sont à terme plus stables, meilleurs et plus en sécurité. La suppression des idées ne réussit jamais à les éliminer. L’Amérique respecte la liberté d’expression de tous ceux, dans le monde entier, qui sont pacifiques et respectueux de la loi, même si nous ne sommes pas d’accord avec eux. Nous accueillerons tous les gouvernements élus pacifiques - à condition qu’ils gouvernent en respectant toutes leurs populations.

Ce point est important car il y a ceux qui encouragent la démocratie uniquement lorsqu’ils ne sont pas au pouvoir ; et une fois au pouvoir ils sont sans scrupules dans la suppression des droits d’autrui. (Applaudissements) Quel que soit là où il prend forme, le gouvernement du peuple et par le peuple est le seul étalon par lequel on mesure tous ceux qui sont au pouvoir : il faut conserver le pouvoir par le consentement du peuple et non la coercition ; il faut respecter les droits des minorités et participer, dans un esprit de tolérance et de compromis ; il faut mettre les intérêts du peuple et le déroulement légitime du processus politique avant ceux de son parti. Sans ces ingrédients, les élections ne créent pas une vraie démocratie à elles seules.
Un membre du public : Barack Obama, on vous aime !


Président Obama : Je vous remercie. (Applaudissements) Le cinquième point que nous allons aborder ensemble est celui de la liberté de religion.
L’Islam a une tradition de tolérance dont il est fier. Nous le constatons dans l’histoire de l’Andalousie et de Cordoue pendant l’Inquisition. Je l’ai constaté de première main pendant mon enfance en Indonésie, où des Chrétiens dévots pratiquaient ouvertement leur religion dans un pays à prépondérance musulmane. C’est cet esprit qu’il nous faut aujourd’hui. Les habitants de tous les pays doivent être libres de choisir et de vivre leur religion d’après leur conviction d’esprit, de coeur et d’âme. Cette tolérance est essentielle pour que la religion puisse s’épanouir, or elle est assaillie de plusieurs façons différentes.
Parmi certains musulmans, on constate que certains ont malheureusement tendance à mesurer leur propre croyance à l’aune du rejet des croyances d’autrui. Il faut soutenir la richesse de la diversité religieuse, que ce soit pour les Maronites au Liban ou les Coptes en Égypte. (Applaudissements)

Et pour être francs, il faut aussi mettre fin aux divergences entre les musulmans, car les divisions entre les sunnites et les chiites ont provoqué des violences tragiques, tout particulièrement en Irak.
La liberté de religion joue un rôle crucial pour permettre aux gens de vivre en harmonie. Nous devons toujours examiner les façons dont nous la protégeons. Aux États-Unis, par exemple, les musulmans ont plus de mal à s’acquitter de l’obligation religieuse de la zakat étant donné les règles relatives aux dons de bienfaisance. C’est pour cette raison que je suis résolu à oeuvrer avec les musulmans américains pour leur permettre de s’acquitter de la zakat.

De même, il importe que les pays occidentaux évitent d’empêcher les musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple, en dictant ce qu’une musulmane devrait porter. En un mot, nous ne pouvons pas déguiser l’hostilité envers la religion sous couvert de libéralisme.
De fait, la foi devrait nous unir. C’est pour cette raison que nous sommes en train de créer de nouveaux programmes de service communautaire en Amérique qui réunissent des chrétiens, des musulmans et des juifs. C’est également pour cette raison que nous nous réjouissons des initiatives telles que le dialogue interreligieux du roi Abdallah d’Arabie Saoudite et le leadership de la Turquie dans l’Alliance des civilisations. À travers le monde, nous pouvons transformer le dialogue en un service interreligieux de sorte que les ponts entre les êtres humains mènent à des actions en faveur de notre humanité commune, que ce soit pour lutter contre le paludisme en Afrique ou pour fournir des secours après une catastrophe naturelle.

La sixième question - la sixième question dont je veux parler porte sur les droits des femmes. (Applaudissements) Je sais - je sais, et vous pouvez le voir d’après ce public - que cette question suscite un sain débat. Je rejette l’opinion de certains selon laquelle une femme qui choisit de se couvrir la tête est d’une façon ou d’une autre moins égale, mais j’ai la conviction qu’une femme que l’on prive d’éducation est privée d’égalité. (Applaudissements) Et ce n’est pas une coïncidence si les pays dans lesquels les femmes reçoivent une bonne éducation connaissent bien plus probablement la prospérité.

Je tiens à préciser une chose : les questions relatives à l’égalité des femmes ne sont absolument pas un sujet qui concerne uniquement l’Islam. En Turquie, au Pakistan, au Bangladesh et en Indonésie, nous avons vu des pays à majorité musulmane élire une femme à leur tête, tandis que la lutte pour l’égalité des femmes continue dans beaucoup d’aspects de la vie américaine, et dans les pays du monde entier.

Je suis convaincu que nos filles peuvent offrir une contribution à la société tout aussi importante que nos fils (Applaudissements)et que notre prospérité commune sera favorisée si nous utilisons les talents de toute l’humanité, hommes et femmes. Je ne crois pas que les femmes doivent faire les mêmes choix que les hommes pour assurer leur égalité, et je respecte celles qui choisissent de suivre un rôle traditionnel. Mais cela devrait être leur choix. C’est pour cela que les États-Unis oeuvreront en partenariat avec tout pays à majorité musulmane pour améliorer l’alphabétisation des filles. Nous aiderons aussi les jeunes femmes à faire la transition de l’école au monde du travail par l’intermédiaire du microfinancement qui permet aux gens de réaliser leurs rêves. (Applaudissements)

Finalement, je veux parler de notre intérêt commun à favoriser le développement et les opportunités économiques.
Je sais que pour beaucoup, la mondialisation présente des aspects contradictoires. Internet et la télévision peuvent transmettre dans les foyers des connaissances et des informations, mais également une sexualité vulgaire et une violence gratuite. Le commerce peut s’accompagner de nouvelles richesses et opportunités, mais aussi de grands bouleversements et de changements au niveau communautaire. Dans tous les pays, y compris en Amérique, ce changement provoque la peur. La peur que la modernité signifie la perte du contrôle de nos choix économiques, de nos décisions politiques et, il s’agit d’un élément encore plus important, de notre identité, c’est-à-dire des choses qui nous attachent à notre communauté, notre famille et notre foi.

Mais je sais aussi qu’on ne peut pas empêcher le progrès humain. Le développement et la tradition ne sont pas nécessairement contradictoires. Des pays comme le Japon et la Corée du Sud ont connu une prodigieuse croissance économique tout en conservant leur culture distincte. Il en va de même pour les progrès remarquables au sein de pays à majorité musulmane, de Kuala Lumpur à Dubaï. Par le passé et de nos jours, les communautés musulmanes ont été à la pointe de l’innovation et de l’éducation.

Ceci est important car aucune stratégie de développement ne peut se fonder uniquement sur ce que produit la terre et elle ne peut être durable si les jeunes n’ont pas de travail. De nombreux pays du Golfe se sont énormément enrichis grâce au pétrole et certains commencent à concentrer leurs ressources sur le développement plus large. Mais nous devons tous garder à l’esprit que l’éducation et l’innovation seront la monnaie d’échange du 21e siècle. (Applaudissements) Dans trop de communautés musulmanes, le sous-investissement en ces domaines persiste. J’attire l’attention sur cette réalité dans mon propre pays. Et à la différence du passé pendant lequel l’Amérique se concentrait sur le pétrole et le gaz, s’agissant de cette partie du monde, nous chercherons désormais à agir dans des domaines plus variés. Dans le domaine de l’éducation, nous allons élargir les programmes d’échange et augmenter les bourses, comme celle qui a permis à mon père de venir en Amérique, (Applaudissements) tout en encourageant davantage d’Américains à étudier dans des communautés musulmanes. Nous offrirons à des étudiants musulmans prometteurs des stages aux États-Unis ; nous investirons dans l’enseignement en ligne destiné aux enseignants et aux enfants à travers le monde ; et nous créerons un nouveau réseau informatique qui permettra à un jeune du Kansas de communiquer instantanément avec un jeune du Caire.

Dans le domaine du développement économique, nous créerons un nouveau corps de volontaires des milieux d’affaires qui formeront des partenariats avec des homologues de pays à majorité musulmane. Je vais aussi accueillir un Sommet sur l’entrepreneuriat cette année pour trouver les moyens d’approfondir les liens entre les leaders du monde des affaires, les fondations et les entrepreneurs sociaux des États-Unis et des communautés musulmanes à travers le monde.

Dans le domaine des sciences et des technologies, nous établirons un nouveau fonds pour appuyer le développement technologique dans les pays à majorité musulmane et pour aider à concrétiser commercialement des idées pour qu’elles créent des emplois. Nous ouvrirons des centres d’excellence scientifiques en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est, et nous nommerons de nouveaux émissaires pour les sciences chargés de collaborer à des programmes qui mettront au point de nouvelles sources d’énergie, créeront des emplois verts, numériseront les registres et archives, purifieront l’eau et produiront de nouvelles cultures. Dans le domaine de la santé au niveau mondial, j’annonce aujourd’hui une nouvelle initiative avec l’Organisation de la conférence islamique pour éradiquer la polio et nous intensifierons nos partenariats avec des communautés musulmanes pour améliorer la santé maternelle et infantile.

Tout cela doit être accompli en partenariat. Les Américains sont prêts à se joindre aux citoyens et gouvernements, aux organisations communautaires, aux dirigeants religieux et aux entreprises dans les communautés musulmanes du monde entier afin d’aider nos populations à améliorer leur vie.

Il ne sera pas facile de régler les questions dont je viens de parler. Mais nous avons la responsabilité de nous unir pour réaliser le monde auquel nous aspirons, un monde où les extrémistes ne menacent plus notre pays et où les soldats américains sont rentrés chez eux, un monde où les Palestiniens et les Israéliens vivent chacun en sécurité dans un État qui leur est propre et où l’énergie nucléaire est utilisée à des fins pacifiques, un monde où les gouvernements servent les intérêts de leurs citoyens et où les droits de tous les enfants de Dieu sont respectés. Tel est le monde auquel nous aspirons et nous n’y parviendrons qu’ensemble.

Je sais qu’un grand nombre de gens - musulmans et non musulmans - se demandent si nous arriverons vraiment à prendre ce nouveau départ. Certains veulent attiser les flammes de la division et entraver le progrès. Certains suggèrent que ça ne vaut pas la peine ; ils avancent qu’il y aura fatalement des désaccords et que les civilisations finissent toujours par s’affronter. Beaucoup plus ont tout simplement des doutes. Il y a tellement de peur, tellement de méfiance qui se sont accumulées avec les ans. Mais si nous choisissons de nous laisser enchaîner par le passé, nous n’irons jamais de l’avant. Je veux particulièrement le déclarer aux jeunes de toutes les fois et de tous les pays, plus que quiconque, vous avez la possibilité de ré-imaginer le monde, de refaire le monde.

Nous partageons tous cette planète pendant un court instant. À nous de décider si nous passons ce temps à nous concentrer sur ce qui nous sépare ou si nous nous engageons à faire ce qu’il faut - de façon soutenue - pour trouver un terrain d’entente, pour nous concentrer sur l’avenir que nous désirons pour nos enfants, et pour respecter la dignité de tous les êtres humains.

Tout ceci n’est pas simple. Il est plus facile de se lancer dans une guerre que de faire la paix. Il est plus facile de blamer autrui que de s’examiner soi-même ; il est plus facile de voir ce qui nous distingue, plutôt que ce que nous avons en commun. Mais il faut choisir le bon chemin, et non le plus facile. Il y a une règle essentielle qui sous-tend toutes les religions : celle de traiter les autres comme nous aimerions être traités.
Cette vérité transcende les nations et les peuples. C’est une croyance qui n’est pas nouvelle, qui n’est ni noire ni blanche ni basanée, qui n’est ni chrétienne ni musulmane ni juive. C’est une foi qui a animé le berceau de la civilisation et qui bat encore dans le coeur de milliards d’êtres humains. C’est la foi dans autrui et c’est ce qui m’a mené ici aujourd’hui.

Nous avons le pouvoir de construire le monde auquel nous aspirons, mais seulement si nous avons le courage de prendre un nouveau départ, en gardant à l’esprit ce qui a été écrit.
Le Saint Coran nous dit : ‘Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et Nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entre-connaissiez."
Le Talmud nous dit : « Toute la Torah a pour objectif de promouvoir la paix. »
La Bible nous dit : « Bienheureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu. »
Les habitants du monde peuvent cohabiter en paix. Nous savons que telle est la vision de Dieu. C’est maintenant notre tâche sur cette Terre. Je vous remercie et que la paix de Dieu soit avec vous. Je vous remercie. Je vous remercie." (Applaudissements)