mardi 28 juin 2011

Jouer "Les primaires à Gauche" du Parti Socialiste sur le Net?

Le Monde.fr, KTM Advance (entreprise spécialisée dans la création de jeux vidéos)  et l'ESJ (Ecole Suoérieure de Journalisme) de Lille se sont associés pour créer un jeu vidéo permettant de jouer "Les Primaires à Gauche" du Parti Socialiste. Présenté ainsi, on pourrait en déduire que la trame et l'issue du scénario sont prévisibles. Mais l'intérêt de ce jeu  singulier, qui se veut a fortiori pédagogique, puisqu'il permet "ô joueur citoyen" d'intégrer les rouages d'une campagne, en l'occurrence celles du PS, se situe du côté des termes employés pour qualifier l'objet. On trouve en effet associé à ce petit jeu en ligne, la visée insolite de "jeu vidéo journalistique"....
Le personnage: Martine Aubraïe

Deux liens pour y participer:

http://www.lemonde.fr/week-end/visuel/2011/06/24/primaires-a-gauche-jouez-votre-campagne_1524806_1477893.html#ens_id=1540739

http://www.lemonde.fr/week-end/visuel/2011/06/24/primaires-a-gauche-jouez-votre-campagne_1524806_1477893.html

lundi 20 juin 2011

Plötzlich Und Erwartet

Der Spiegel, 20 Juin 2011

La "Une" de l'hebdomadaire allemand  Der Spiegel annonce "La Mort de l'Euro" avec cette image représentant dans un cadre bleu, le front ceint d'un brassard noir, le portrait d'une pièce d'un euro trônant debout sur un cercueil aux couleurs de la Grèce...

 

Rome-Berlin, le nouvel axe anti-atomique

Massimo Nava, 17 juin 2011, Corriere della Sera. Milan

Abandon de l’atome en Allemagne, puis rejet du retour au nucléaire en Italie : le volte-face de deux membres fondateurs de l’UE pourrait pousser les autres Etats membres à tourner la page du nucléaire et à miser sur les énergies renouvelables.

Les Italiens, à qui il était demandé si le retour au nucléaire était une voie praticable compte tenu des coûts, du facteur temps et des risques, ont dans leur grande majorité, définitivement exclu cette éventualité, pour la seconde fois en un quart de siècle.
Ce deuxième "non" au nucléaire impose une vaste réflexion qui ne se limite pas à gérer les problèmes immédiats que le referendum a imposés. Il ne suffit pas de rappeler à ceux qui exercent des responsabilités gouvernementales ou dans le secteur énergétique l’urgence absolue d’un plan de développement des sources d’énergie alternatives et renouvelables. 

Il faut rappeler que c’est à présent un devoir civique que de révolutionner les comportements en cohérence avec le choix qui vient d’être fait et de façon beaucoup plus efficace que par le passé. L’absence de tri sélectif des ordures, le gâchis de l’eau, l’utilisation inconsidérée de la voiture, le chauffage et la clim’ à fond sont quelques-unes des habitudes qui devraient disparaître en même temps que les projets de centrales nucléaires italiennes.

Les partis traditionnels risquent gros face aux écologistes

Et il serait utile d’imaginer l’avenir qui attend les nouvelles générations, sur lesquelles va peser la décision des Italiens d’aujourd’hui. On pourrait commencer à se sentir fiers d’être le pays européen qui le premier avait dit "non" [lors d’un referendum en 1987] et qui l’a répété, renforçant un choix qui aujourd’hui se rapproche, sur le plan culturel et stratégique, de celui de l’Allemagne — et de la Suisse — et grâce auquel nous  sommes un peu moins conditionnés par la France, pays avec lequel nous avions récemment conclu une sorte de pacte technologique et industriel pour le retour au nucléaire.
On notera que le choix de l’Allemagne n’est pas dicté seulement par la peur du présent ou par une angoisse intellectuelle qui a ses racines dans sa propre histoire : c’est un pays qui, avant de dire adieu au nucléaire, investit depuis au moins une vingtaine d’années dans les énergies renouvelables et qui, ces huit dernières années, a vu doubler les emplois dans ce secteur. En termes d’expérience et de stratégies industrielles, il peut être utile d’en tenir compte.

En ce qui concerne la France, en dépit de ses 58 réacteurs et de ses projets de centrales de nouvelle génération, il faut avoir présent à l’esprit qu’après Fukushima et après la décision allemande, un fort pourcentage de Français s’est déclaré favorable à une révision de la politique de l’atome. Le président Sarkozy, tout en réaffirmant, après le désastre japonais, le choix historique du général De Gaulle, avait créé au début de son mandat un grand ministère de l’Ecologie, en lui donnant pour mission d’élargir le champ des énergies renouvelables et de diminuer la dépendance envers le nucléaire.

Conservateur comme Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, a compris que le "renouvelable" est aussi un marché et que les partis traditionnels risquent gros face aux mouvements écologique et antinucléaire. Les Verts français ont inséré la question de l’énergie nucléaire dans leur programme d’alliance pour 2012 avec les socialistes (en majorité pro-nucléaires).

L'Europe dénucléarisée reste une utopie

En matière énergétique, les choix stratégiques nationaux sont et seront prédominants dans une vision d’ensemble européenne, mais si deux puissances industrielles telles que l’Italie et l’Allemagne, membres du G8 et pays fondateurs de l’Europe, abandonnent le nucléaire, il n’est pas illusoire de considérer que ce choix va exercer une forte incitation au changement et aura une grande influence sur les opinions publiques des autres pays. Ce n’est pas non plus un rêve que d’imaginer que ce choix s’étendra un jour à tout le Vieux Continent et renforcera sur la scène internationale le leadership d’une Europe qui, sur les questions de climat et d’environnement, est déjà un pas en avant par rapport au reste du monde.

Ainsi serait supprimée une objection qui a longtemps pesé sur le débat, c’est-à-dire l’impossibilité de renoncer à l’atome tout en ayant des centrales juste à côté de ses frontières. L’Europe dénucléarisée est une utopie, mais la révolution culturelle est en marche et pourrait bien être notre horizon d’ici quelques décennies. Peut-être la distinction entre usage civil et usage militaire de l’atome ne sera-t-elle plus pertinente, ni vitale.
De même qu’il ne devrait pas échapper que la partie sur les énergies renouvelables se joue  — en même temps que celle sur la paix, sur l’immigration et sur les matières premières — sur un rapport le plus fécond et constructif possible avec la rive Sud de la Méditerranée, aujourd’hui sur la voie incertaine et tortueuse de la démocratie. Il ne s’agit pas seulement du pétrole libyen ou du gaz algérien, mais du soleil et du désert, qui sont la richesse des pauvres et une partie importante de notre avenir.

jeudi 16 juin 2011

L'échappée d'Alain Roger ou l'extraordinaire matrice du philosophe à trois voies

"Au cours de sa dernière année d’enseignement à Orléans, Alain Roger se trouve être interne en hypokhâgne. Le service de Deleuze se partage alors en trois classes : une terminale, une hypokhâgne et deux heures d’enseignement en khâgne. L’hypokhâgne est essentiellement constituée de jeunes filles, de bonnes élèves qui pour la plupart non pas l’intention de préparer l’ENS, mais qui sont là pour faire leur propédeutique avant de commencer l’université. Le magnétisme de Deleuze va être décisif pour l’avenir d’Alain Roger. En cette fin de novembre 1954, son moral est au plus bas. Il s’est inscrit en hypokhâgne sur l’injonction parentale – il avait décroché un accessit en philosophie au concours général. Mais il vient de passer une série d’évaluations désastreuses et, pour couronner le tout, son professeur de latin vient de lui coller une note négative : -7/20 ! Cette situation le renforce dans l’idée qu’il n’a rien à faire là, que ses parents se sont fourvoyés. Lui, sa passion, c’est le vélo, dont il veut faire sa profession. Son fidèle coursier de la marque Stella n’attend que lui au domicile familial de Bourges et il est alors bien décidé à quitter l’univers confiné de l’hypokhâgne pour regagner l’air libre qui souffle sur les routes du Berry et s’inscrire au Club cycliste professionnel du coin. Né en 1936, Alain Roger a pour idole Louison Bobet et ne rêve que d’une chose : gagner une étape du Tour de France après avoir lâché Fausto Copi dans le Tourmalet : « Un rêve que je n’ai jamais réalisé à cause de Deleuze ».

C’est dans cet état d’esprit qu’il assiste prostré au dernier cours de la semaine. Il a lâché son stylo et regarde dans le vide, hagard, un vélo dans la tête. Cela n’échappe pas à la perspicacité de Deleuze qui, voyant son élève s’esquiver rapidement à la fin du cours à 11 heures, le rejoint dans le couloir et lui demande ce qui ne va pas. Alain Roger lui explique les raisons de son découragement et Deleuze tente de lui remonter le moral : « Avec moi, c’est meilleur ? » Il a eu en effet un 11 en philo : « Alors, lui répond Deleuze, 11+ (-7), ça nous fait combien ? 4, ça nous fait 4, c’est déjà moins pire. » Alain Roger lui explique qu’il entend devenir cycliste professionnel ; Deleuze le conduit alors à la bibliothèque du lycée et Alain Roger le suit un peu penaud, n’osant le contredire mais toujours aussi ferme sur ses intentions. Deleuze sort trois ouvrages des rayons de la bibliothèque : les Entretiens d’Epictète, l’Ethique de Spinoza et la Généalogie de la morale de Nietzsche, sélectionne quelques chapitres de ces trois livres et enjoint à son élève de bien vouloir préparer un exposé pour le mardi suivant : « vous allez chercher le centre de gravité de ce triangle, l’intersection des trois médianes, c’est facile. » La ligne de fuite est coupée et le week-end chez les parents compromis. Alain Roger doit rester pour préparer cet exposé à contre-cœur, mais on ne contredit pas Deleuze. Or la plongée dans ces trois textes réussit à le convertir définitivement, puisqu’il deviendra professeur de philosophie à l’université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand de 1967 à 2004. Il se demande encore « comment Deleuze a-t-il pu prévoir que ces trois noms allaient devenir, pendant un demi-siècle, mes auteurs préférés ». Ce triangle éthique dans l’exposé durera plus d’une heure va devenir en effet la matrice de la nouvelle vocation."
Dosse, F. 2007, Gilles Deleuze et Félix Guattari. Biographie croisée, Paris, La Découverte.

"Descartes" par Henri Lefebvre

Les premiers chapitres tendent à situer l'émergence de la pensée cartésienne dans un processus historique et philosophique (les conditions historiques du cartésianisme). Lefebvre s'intéresse donc aux idées dominantes du XVIème siècle et des périodes précédentes correspondant au Moyen-Age. L'analyse de Lefebvre s'inscrit dans une conception marxiste qui vise aussi à observer l'organisation sociale du pouvoir en place. C'est sur ce point que l'on perçoit l'écho d'une réflexion menée par Michelet à l'égard du Moyen-Age. Lefebvre revient sur les figures politiques du féodalisme, telles que le serf et le vassal qui marquent l'expression d'une structure politique fortement hiérarchisée. Cette analyse s'établit aussi sur la base d'une réflexion sur le pouvoir religieux (ecclésiastique). Selon Lefebvre et Michelet la religion catholique s'est établie selon un « Ordre » strict qui détermine socialement la place de chacun. On y perçoit les notions caractéristiques de la pensée marxiste. Lefebvre s'interroge aussi sur la place de la personne (de l'individu par extension, terme moderne) au sein de la structure sociale, ce qui le place dans un rapport spécifique au Tout. Michelet évoque en ce sens la rupture des représentants de la religion, des théologiens, avec la « base ». La mortification de la nature constitue pour lui un symbole puissant qui démontre la pauvreté d'une idéologie peu innovatrice et imaginative, contrairement aux mythes grecs, romains ou juifs. Ces éléments situent globalement les conditions historiques du cartésianisme. Selon Henri Lefebvre, la conception philosophique de Descartes marque un changement ontologique du point de vue de la conception chrétienne du monde, dans la mesure où la réflexion du philosophe tend à modifier, voire supprimer la hiérarchie des substances, des intermédiaires dans un rapport personnel ou individuel au divin. Descartes modifie en ce sens une structuration des faits entre la conscience individuelle (le "cogito", la "res cogitans" ou substance pensante) et la Vérité, scientifique et absolue. C'est en lui-même, dans sa conscience, qu'il trouve ou croit trouver l'infini. Descartes situe la découverte de la Vérité au coeur de la conscience et tend à prouver que celle-ci ne vient pas de lui-même. Elle est là, pourrait-on dire, apparaissant à l'examen de la conscience. On note aussi la nécessité de revenir sur la traduction de la fameuse proposition: « Cogito ergo sum ». La philosophie cartésienne rompt aussi avec un processus d'analyse syllogistique, basé sur le modèle de catégorisation aristotélicien. (Tout homme est mortel. Socrate est un homme, donc Socrate est mortel). Descartes s'oppose ainsi à une conception théologique et politique linéaire (observable sur un plan vertical) représentée par l'influence des écrits de Saint-Thomas d'Aquin au cours du moyen-âge. On comprend mieux encore, sous cet éclairage, l'impact de la philosophie cartésienne à l'échelle de l'histoire des idées. Il serait intéressant de s'interroger sur les réactions et les conséquences de cette nouvelle pensée, d'ailleurs similaire en certains points à la réforme protestante (ou janséniste), auprès des contemporains de Descartes et surtout des ecclésiastiques. Parmi les objections formulées à l'encontre des Méditations, on compte les écrits du théologien Catérus, qui déduit malicieusement de l'expression cartésienne la conclusion suivante: « Je pense donc je suis; or cette pensée et cet esprit, ou il est par soi-moi-même ou par autrui; si par autrui, celui-là enfin par qui est-il ? S'il est par soi, donc il est Dieu... » (Premières objections contre les Méditations III, V et VI). "Monsieur Descartes se prendrait-il pour Dieu ?", pense-t-on du côté des représentants religieux. Il y aurait là en somme une observation tout à fait critiquable et condamnable pour celui qui chercherait à maintenir l'ordre. La "Méthode" de Descartes est en ce sens révolutionnaire et l'on perçoit depuis ce postulat l'apparition de nouveaux positionnements philosophiques: matérialiste, d'abord pour Spinoza et plus tard les philosophes du XVIIIè, spiritualiste et conservatrice pour les philosophes comme Malebranche ou Leibniz. Le "Cogito" pose un nouveau rapport dans la conception de l'individu (pensant) à la Vérité. Descartes y intègre une « donnée immédiate », objet de la conscience. Il en découle un certain nombre de questions qui porteront sur l'ordonnancement de la réalité. Si l'on pose comme un fait le rapport direct de chaque « individu pensant » avec la vérité, comment établir un ordre de pensée entre les individus et surtout entre les pensées? Si l'ordre ne peut être préexistant à la connaissance, si la pensée qui avance constitue en avançant son ordre, comment fonder en réalité cet ordre? (réflexion posées par Leibniz et Spinoza).

Carte d'identité







Ecris
Je suis arabe
Et le numéro de ma carte est cinquante mille
J’ai huit enfants
Et le neuvième… viendra après l’été !
Es-tu fâché ?

Ecris
Je suis arabe
Et je travaille avec mes camarades dans une carrière
J’ai huit enfants
Je leur extrais le pain,
Les vêtements et les cahiers
De la roche
Et je ne demande pas l’aumône
Devant ta porte
Et je ne m’humilie pas
Devant les marches de tes palais
Es-tu fâché ?

Ecris
Je suis arabe
Je suis un nom sans titre
Patient dans un pays, où tout ce qu’il y a
Vit avec la colère
Mes racines
Avant le temps se sont établies
Avant l’éclosion des ères
Avant le cyprès et l’olivier
… et avant l’herbe
Mon père… est de la famille de la charrue
Non des seigneurs du golf
Mon grand père était paysan
Sans titre… ni fortune
Il m’apprenait la grandeur du soleil avant la lecture
Ma maison est une cabane
Faite de branche et de roseaux
Ma vie te satisfait-elle ?
Je suis un nom sans titre

Ecris
Je suis arabe
La couleur des cheveux… noire
La couleur des yeux… marron
Mes caractéristiques :
Sur ma tête un agal au dessus d’un keffieh
Et ma main, dure comme la roche,
Blesse celui qui la touche
Mon adresse :
Je suis d’un village isolé, oublié
Ses rues n’ont pas de nom
Et tout ses hommes sont dans le champ et la carrière
Es-tu fâché ?

Ecris
Je suis arabe
Tu m’as volé les vignes des mes grands-pères
Et une terre [sur laquelle] que je cultivais
Moi et tous mes enfants
Et tu ne nous as laissé que ces rochers
Ton gouvernement va-t-il les prendre
…Comme on dit ?
Ecris... à la tête de la première page
Je ne hais pas les gens
Et je n’agresse personne
Mais… quand j’ai faim
Je mange la chaire de celui qui m’a volé
Attention... attention... à ma faim
Et à ma colère !


Mahmoud Darwich

(Trad. Y. Kouzzi)

بـطـاقـة هـويـة

سجِّل
أنا عربي
ورقمُ بطاقتي خمسونَ ألفْ
وأطفالي ثمانيةٌ
وتاسعهُم.. سيأتي بعدَ صيفْ!
فهلْ تغضبْ؟

سجِّلْ
أنا عربي
وأعملُ مع رفاقِ الكدحِ في محجرْ
وأطفالي ثمانيةٌ
أسلُّ لهمْ رغيفَ الخبزِ،
والأثوابَ والدفترْ
من الصخرِ
ولا أتوسَّلُ الصدقاتِ من بابِكْ
ولا أصغرْ
أمامَ بلاطِ أعتابكْ
فهل تغضب؟

سجل
أنا عربي
أنا إسمٌ بلا لقبِ
صبورٌ في بلادٍ كلُّ ما فيها
يعيشُ بفورةِ الغضبِ
جذوري
قبلَ ميلادِ الزمانِ رستْ
وقبلَ تفتّحِ الحقبِ
وقبلَ السّروِ والزيتونِ
.. وقبلَ ترعرعِ العشبِ
أبي.. من أسرةِ المحراثِ
لا من سادةٍ نجبِ
وجدّي كانَ فلاحاً
بلا حسبٍ.. ولا نسبِ!
يعلّمني شموخَ الشمسِ قبلَ قراءةِ الكتبِ
وبيتي كوخُ ناطورٍ
منَ الأعوادِ والقصبِ
فهل ترضيكَ منزلتي؟
أنا إسمٌ بلا لقبِ

سجلْ
أنا عربي
ولونُ الشعرِ.. فحميٌّ
ولونُ العينِ.. بنيٌّ
وميزاتي:
على رأسي عقالٌ فوقَ كوفيّه
وكفّي صلبةٌ كالصخرِ
تخمشُ من يلامسَها
وعنواني:
أنا من قريةٍ عزلاءَ منسيّهْ
شوارعُها بلا أسماء
وكلُّ رجالها في الحقلِ والمحجرْ
فهل تغضبْ؟

سجِّل!
أنا عربي
سلبتَ كرومَ أجدادي
وأرضاً كنتُ أفلحُها
أنا وجميعُ أولادي
ولم تتركْ لنا.. ولكلِّ أحفادي
سوى هذي الصخورِ
فهل ستأخذُها
حكومتكمْ.. كما قيلا؟
إذنْ
سجِّل.. برأسِ الصفحةِ الأولى
أنا لا أكرهُ الناسَ
ولا أسطو على أحدٍ
ولكنّي.. إذا ما جعتُ
آكلُ لحمَ مغتصبي
حذارِ.. حذارِ.. من جوعي
ومن غضبي!

محمود درويش - فلسطين

Entretien entre Mahmoud Darwich et Philippe Lefait

Extrait de l'émission télévisuelle « Des mots de minuit » du 28 novembre 2001, retranscrit sur le blog de l'émission de FRANCE 2.

Entretien avec Mahmoud DARWICH,


Mahmoud DARWICH: J’écris avec des stylos précis, avec des stylos à encre et la température n’est pas très importante, s’il fait extrêmement chaud de sorte que je puisse le supporter, mais il faut que psychologiquement la température ne soit ni trop chaude ni trop froide. Il faudra que je maîtrise mes émotions, et la relation de mes émotions avec ma conscience font que la température est adéquate, mais j’espère, je souhaite que cela se passe dans un environnement, dans la beauté, ou dans un environnement humain, le plus calme le plus pacifique possible, mais cela ce sont des souhaits auxquels on ne peut arriver uniquement à travers de la poésie et l’écriture elle-même.

Je vis à Ramallha depuis plusieurs année maintenant, et j’écris à Ramalla dans les mêmes conditions, les mêmes habitudes. J’écris le matin dans les heures matinales, et je consacre souvent deux heures à trois heures pour essayer d’écrire, mais je ne réussis pas toujours à écrire, mais je me consacre à cela en attendant ce qu’on peut appeler une préparation, à un état psychologique que l’on appelle "l’inspiration" en arabe, lorsque l’on doit écrire il faut attendre cette inspiration, parce que l’inspiration peut passer sans que je sois là, et donc je me prépare à cette attente.

Philippe LEFAIT: Est-ce que parfois les bruits de la guerre vous envahissent ou vous parasitent dans ce travail de perception, dans ce travail de saisissement et d’inspiration du poète ?

Mahmoud DARWICH: Il est clair que les conditions de la guerre sont l’ennemi le plus important de l’écriture poétique, car la poésie est un appel humain, un appel vers la liberté, vers la coexistence entre les hommes, un appel pour écrire l’histoire et la vie. Il est clair que la vie est l’opposé de cela est donc on ne peut pas écrire sous les bombardements dans un environnement de guerre, de même que la guerre est loin de moi physiquement, mais la guerre ne peut pas être loin, car je vis dans une société qui malheureusement est dans un état d’émotion très importante, dans une violence à tel point que ça devient une routine, quelque chose de quotidien, et la chose la plus dure dans notre quotidien c’est que cette vie est devenue quotidienne et routinière et cette sauvagerie de la vie est devenu quelque chose de routinier et s’adapter à cela est quelque chose de très difficile humainement.

Philippe LEFAIT: L’an dernier chez Gallimard était publié une série de poèmes que vous avez choisi (traduit par Elias Sanbar) qui couvre la période 1966-1999 « La terre nous est étroite » ; Voici un extrait d’un poème qui s’appelle « L’art d’aimer ». "Je l’attends, Auprès du bassin des fleurs du chèvrefeuille et du soir, Je l’attends, Avec la patience du cheval scellé pour les sentiers de montagne, Je l’attends, Avec le bon goût du prince raffiné et beau, Je l’attends, Avec sept coussins remplis de nuées légères, Je l’attends, Avec le feu de l’encens féminin omniprésent, Je l’attends, Avec le parfum masculin du santal drapant le dos des chevaux, Je l’attends. Et ne t’impatiente pas, si elle arrivait après son heure, Attends là, Et si elle arrivait avant, Attends la, Et n’effraies pas l’oiseau posé sur ses nattes, Et attends la, Qu’elle prenne place, apaisée comme le jardin à sa pleine floraison, Et attends la, Qu’elle respire cet air étranger à son cœur, Et attends la, qu’elle soulève sa robe, Qu’apparaissent ses jambes, nuage après nuage, Et attends la, Et mène la à une fenêtre qu’elle voit une lune noyée dans le lait, Et attends la, Et offre lui, l’eau avant le vin, et ne regarde pas la paire de perdrix sommeillant sur sa poitrine Et attends la."

Mahmoud DARWICH: La guerre ne peut pas tuer l’amour. L’un des objectifs de la guerre est, très en général, de tuer l’amour chez l’homme, l’amour entre l’homme et la femme, l’amour entre les hommes, et les relations entre les peuples. C’est la victoire du sentiment humain. Il constitue une arme pour faire la guerre à la guerre, car le poète combat la guerre à travers l’amour, et l’amour de la nature et l’amour de l’homme, et l’amour de la liberté en tout premier lieu, et bien sûr, je ne peux réaliser ce rêve, uniquement dans la poésie. Mais je ne peux créer une réalité calme et humaine au travers de la poésie, et c’est l’une des formes de ma résistance par l’esthétique qui me protège de la violence de la réalité.

Ce que je voulais dire à travers ce poème, c’est de dire que la guerre est un obstacle, entre les amants, entres les amoureux, entres les êtres humains. Il ne s’agit pas d’une agression contre un peuple, mais d’une agression contre l’être humain pour qu’il vive ses sentiments, sa jeunesse et ses émotions, et sans forcément donner la carte d’identité de celle que j’aime ou que j’aurais aimé.

Discours de remise de la Palme d'or, Festival de Cannes 1999

Sophie Marceau: Bonsoir. Euh! [ou Eux! Les salauds! Les extra-terrestres!] Quelle journée! Euh, on m'a demandé il y a trois jours de remettre la Palme d'Or, j'ai été très honorée, j'ai pas hésité une seconde et depuis les choses se sont accélérées [L'Espace-Temps, les failles temporelles, l'absence, le trac...] et il a fallu beaucoup de choses [une robe, des chaussures, du papier, un stylo, une présence??], alors j'ai fait dix-huit discours, j'en ai écrit cinq [pas moins!]on m'en a remis un tout à l'heure, il y a cinq minutes [je disais: l'espace- temps! Ah, les salauds!] Je vous le lirai après peut-être que ce sera... très bien. Euh, alors, donc je suis arrivée ici il y a une heure et demie, je voulais savoir qu'est-ce que c'est Cannes [Une ville, une équipe de foot, un asile d'aliénés?] Qu'est-ce qui se passe? C'est comment l'atmosphère? C'est quoi? [Le Concept?] J'ai demandé partout, alors j'ai eu comme ça des bribes de réponses qui me disaient: Oh Cannes, c'est chiant! Je vous le dis et c'est beaucoup mieux à Cabourg [pas le même climat!] et euh, oui d'accord, mais les films? C'est quoi? [Comment on fait un film, la pellicule? Comment on fait ensuite pour diffuser les images sur le drap blanc, au fond de la salle?] Euh, les films? Oh il y a heureusement le film d'Almodovar qui a un petit peu réveillé la Croisette, il y a...

Une voix dans le public

Sophie Marceau: Pardon? Il y a, il y a... Enfin bon je m'embrouille, mais je vais y arriver! Il y a tous ces films qui sont là ce soir et qui ont été vus... Euh, en tout cas, je serai très heureuse pour le bienheureux qui aura cette palme d'or et qui nous rappeleront [Ils? Les frères Dardenne?] tous ceux qui ont eu la palme d'or et tous ceux qui ne l'ont pas eu [selon tout raisonnement dialectique] mais qui ont accompagné le cinéma, qui ont fait le cinéma et qui... Et c'est important [Merde! Personne ne le dit!] Je voulais vous parler d'autre chose que du cinéma, parce qu'il y a d'autres choses importantes dans le cinéma [Nuance subtile] et puis j'ai passé une journée avec des enfants gravement malades et je peux vous dire que le cinéma est une chose qui compte dans le monde. Plutôt que de faire la guerre, on fait du cinéma et je vous dis que ça fait rêver les gens et ça leur donne un but, un projet... Euh, à court terme mais c'est quelque chose qui reste pour toujours... Euh... 

Une femme intervient: Monsieur le président?


Sophie Marceau: Si je vous ennuie, dites le moi? En tout cas allez-y... 
(Applaudissements)


David Cronenberg: Alors, Palme d'Or: "Rosetta" de Luc et Jean-Pierre Dardenne.

L'oeuvre d'art naît des signes

"Ce qui force à penser, c'est le signe. Le signe est l'objet d'une rencontre; mais c'est précisément la contingence de la rencontre qui garantit la nécessité de ce qu'elle donne à penser. L'acte de penser ne découle pas d'une simple possibilité naturelle. Il est, au contraire, la seule création véritable. La création, c'est la genèse de l'acte de penser dans la pensée elle-même. Or cette genèse implique quelque chose qui fait violence à la pensée, qui l'arrache à sa stupeur naturelle, à ses possibilités seulement abstraites. Penser, c'est toujours interpréter, c'est à dire expliquer, développer, déchiffrer, traduire un signe. Traduire, déchiffrer, développer sont la forme de la création pure. Il n'y a pas plus de significations explicites que d'idées claires. Il n'y a que des sens impliquée dans des signes; et si la pensée a le pouvoir d'expliquer le signe, de le développer dans une Idée; c'est parce que l'Idée est déjà dans le signe, à l'état enveloppé et enroulé, dans l'état obscur de ce qui force à penser. Nous ne cherchons la vérité que dans le temps, contraints et forcés. Le chercheur de vérité, c'est le jaloux qui surprend un signe mensonger sur le visage de l'aimé. C'est l'homme sensible, en tant qu'il rencontre la violence d'une impression. C'est le lecteur, c'est l'auditeur, en tant que l'oeuvre d'art émet des signes qui le forcera peut-être à créer, comme l'appel du génie à d'autres génies. Les communications de l'amitié bavarde ne sont rien, face aux interprétations silencieuses d'un amant. La philosophie, avec toute sa méthode et sa bonne volonté, n'est rien face aux pressions secrètes de l'oeuvre d'art. Toujours la création, comme la genèse de l'acte de penser, part des signes. L'oeuvre d'art naît des signes autant qu'elle les fait naître; le créateur est comme le jaloux, divin interprète qui surveille les signes auxquels la vérité se trahit."

G. Deleuze, 2003, Proust et les signes, Paris, PUF, p.119

(Photo: Pascal Elliott, "Corps & Graphie")

Des Signes. Personnages de Marcel Proust

"...Saisi par l'étrange saveur, le héros se penche sur sa tasse de thé, boit une seconde et une troisième gorgée, comme si l'objet lui-même allait lui révéler le secret du signe. Frappé par un nom de lieu, par un nom de personne, il rêve d'abord aux êtres et aux pays que ces noms désignent. Avant qu'il ne la connaisse, Mme de Guermantes lui semble prestigieuse, parce qu'elle doit posséder croit-il, le secret de son nom. Il se la représente "baignant comme dans un coucher de soleil dans la lumière orangée qui émane de cette dernière syllabe -antes" . Et quand il la voit: "Je me disais que c'était bien elle que désignait pour tout le monde le nom de duchesse de Guermantes; la vie inconcevable que ce nom signifiait, ce corps la contenait bien". Avant qu'il n'y aille, le monde lui paraît mystérieux: il croit que ceux qui émettent les signes sont aussi ceux qui les comprennent et en détiennent le chiffre. Durant ses premières amours, il fait bénéficier "l'objet" de tout ce qu'il éprouve: ce qui lui semble unique dans une personne lui semble aussi appartenir à cette personne..."
Deleuze, G. 2003, Proust et les signes, Paris, Presses Universitaires de France

L'amitié proustienne

"Dans philosophie, il y a "ami". Il est important que Proust adresse la même critique à la philosophie et à l'amitié. Les amis sont, l'un par rapport à l'autre, comme des esprits de bonne volonté qui s'accordent sur la signification des choses et des mots: ils communiquent sous l'effet d'une bonne volonté commune. La philosophie est comme l'expression d'un Esprit universel qui s'accorde avec soi pour déterminer des significations explicites et communicables. La critique de Proust touche à l'essentiel: les vérités restent arbitraires et abstraites, tant qu'elles se fondent sur la bonne volonté de penser. Seul le conventionnel est explicite. C'est que la philosophie, comme l'amitié, ignore les zones obscures où s'élaborent les forces effectives qui agissent sur la pensée, les déterminations qui nous forcent à penser. Il n'a jamais suffi d'une bonne volonté, ni d'une méthode élaborée, pour apprendre à penser; il ne suffit pas d'un ami pour s'approcher du vrai. Les esprits ne se communiquent entre eux que le conventionnel; l'esprit n'engendre que le possible. Aux vérités de de la philosophie, il manque la nécessité, et la griffe de la nécessité. En fait, la vérité de se livre pas, elle se trahit; elle ne se communique pas, elle s'interprète; elle n'est pas voulue, elle est involontaire."

Le fascisme, Etat suicidaire

C'est là que nous retrouvons le paradoxe du fascisme, et sa différence avec le totalitarisme. Car le totalitarisme est affaire d'Etat: il concerne essentiellement le rapport de l'Etat comme agencement localisé avec la machine abstraite de surcodage qu'il effectue. Même quand il s'agit d'une dictature militaire, c'est une armée d'Etat qui prend le pouvoir, et qui élève l'Etat au stade totalitaire, ce n'est pas une machine de guerre. Le totalitarisme est conservateur par essence. Tandis que, dans le fascisme, il s'agit bien d'une machine de guerre. Et quand le fascisme se construit un Etat totalitaire, ce n'est pas au sens où une armée d'Etat prend le pouvoir, mais au contraire au sens où une machine de guerre s'empare de l'Etat. Une remarque bizarre de Virilo nous met sur la voie: dans le fascisme, l'Etat est beaucoup moins totalitaire qu'il n'est suicidaire. Il y a dans le fascisme un nihilisme réalisé. C'est que, à la différence de l'Etat totalitaire qui s'efforce de colmater toutes les lignes de fuite intense, qu'il transforme en ligne de destruction et d'abolition pures. C'est curieux comme, dès le début, les nazis annonçaient à l'Allemagne ce qu'ils apportaient: à la fois des noces et de la mort, y compris leur propre mort, et la mort des Allemands. Ils pensaient qu'ils périraient, mais que leur entreprise serait de toute façon recommencé, l'Europe, le monde, le système planétaire. Et les gens criaient bravo, non pas parce qu'ils comprenaient pas, mais parce qu'ils voulaient cette mort des autres contre la sienne, et de tout mesurer avec des "déléomètres". Le roman de Klaus Mann, Méphisto, donne des échantillons de discours ou de conversations nazis tout à fait ordinaires: "L'héroïsme pathétique faisait de plus en plus défaut à notre vie. (...) En réalité, nous ne marchons pas au pas militaire, nous avançons en titubant. (...) Notre Führer bien-aimé nous entraîne dans les ténèbres et le néant. (...) Comment nous autres poètes, qui entretenons des rapports particuliers avec les ténèbres et l'abîme, ne l'en admirerions-nous pas? (...) Des éclairs de feu à l'horizon, des ruisseaux de sang sur tous les chemins, et une danse de possédé des survivants, de ceux qui sont encore épargnés autour des cadavres! [1]" Le suicide n'apparaît pas comme un châtiment, mais comme le couronnement de la mort des autres. On peut toujours dire qu'il s'agit de discours fumeux, et d'idéologie, rien d'autre que de l'idéologie. Mais ce n'est pas vrai; l'insuffisance des définitions économiques et politiques du fascisme n'implique pas seulement la nécessité d'y joindre de vagues déterminations dites idéologiques. Nous préférons suivre J.P Faye quand il s'interroge sur la formation précise des énoncés nazis, qui jouent dans le politique, dans l'économique autant que dans la conversation la plus absurde. Nous retrouvons toujours dans ces énoncés le cri "stupide et répugnant" de Vive la mort!, même au niveau économique où l'expansion du réarmement remplace l'accroissement de consommation, et où l'investissement se déplace des moyens de production vers les moyens de pure destruction. L'analyse de Paul Virilo
nous semble profondément juste quand il définit le fascisme, non pas par la notion d'Etat totalitaire, mais par celle d'Etat suicidaire: la guerre dite totale y apparaît moins comme l'entreprise d'un Etat, que d'une machine de guerre qui s'approprie l'Etat, et fait passer à travaers lui le flux de guerre absolue qui n'aura d'autre issue que le suicide de l'Etat lui-même. "Déclenchement d'un processus matériel inconnu réellement sans limites et sans but. (...) Une fois déclenché, son mécanisme ne peut aboutir à la paix, car la stratégie indirecte installe effectivement le pouvoir dominant hors des stratégies usuelles de l'espace et du temps. (...) C'est dans l'horreur de la quotidienneté et de son milieu que Hitler trouvera finalement son plus sûr moyen de gouvernement, la légitimation de sa politique et de sa stratégie militaire, et ce jusqu'à la fin, puisque, loin d'abattre la nature répulsive de son pouvoir, les ruines, les horreurs, les crimes, le chaos de la guerre totale ne feront normalement qu'en augmenter l'étendue. Le télégramme 71: Si la guerre est perdue, que la nation périsse, dans lequel Hitler décide d'associer ses efforts à ceux de ses ennemis pour achever la destruction de son propre peuple en anéantissant les ultimes ressources de son habitat, réserves civiles de toute nature (eau potable, carburants, vivres, etc.) est l'aboutissement normal...[2]" C'était déjà cette réversion de la ligne de fuite en ligne de destruction qui animait tous les foyers moléculaires du fascisme, et les faisait interagir dans une machine de guerre plutôt que résonner dans un appareil d'Etat. Une machine de guerre, qui n'avait plus que la guerre pour objet, et qui acceptait d'abolir ses propres servants plutôt que d'arrêter la destruction. Tous les dangers des autres lignes sont peu de chose à côté de ce danger-là.

[1] Klaus Mann, Mephisto, Denoël, pp. 265-266. Ce genre de déclarations abondent, au moment même des succès nazis. Cf. les formules célèbres de Goebbels: "Dans le monde de fatalité absolue où se meut Hitler, plus rien n'a de sens, ni le bien ni le mal, ni le temps, ni l'espace, et ce que les autres hommes appellent succès ne peut servir de critère. (...) Il est probable que Hitler aboutira à la catastrophe..." (Hitler parle à ses généraux, Albin Michel). Ce catastrophisme peut se concilier avec beaucoup de satisfaction, de bonne conscience et de tranquilité confortable, comme on le voit aussi, dans un autre contexte, chez certains suicidaires. Il y a une bureaucratie de la catastrophe. Pour le fascisme italien, on se rapportera notamment à l'analyse de M.A Macciochi, "Sexualité féminine dans l'idéologie fasciste", Tel Quel n°66: l'escadron féminin de la mort, la mise en scène des veuves et des mères en deuil, les mots d'ordre "Cercueil et Berceaux".

[2] Paul Virilo, L'insécurité du territoire, ch.1. Et, bien qu'elle identifie nazisme et totalitarisme, Hannah Arendt a dégagé ce principe de la domination nazie: "Leur idée de la domination ne pouvait être réalisée ni par un Etat ni par un simple appareil de violence, mais seulement par un mouvement constamment en mouvement"; et même la guerre, et le risque de perdre la guerre, interviennent comme des accélérateurs (Le système totalitaire, Seuil, p. 49).

G. Deleuze, F. Guattari, 1980, Mille Plateaux. Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit, pp. 281-283.

Aristote le Magnanime

"Il ne suffit pas de définir l'ironie comme une simulation per contrarium. L'universio, même emphatique en apparence, va toujours du plus au moins. Telle est la direction privilégiée du renversement. La forme naturelle de l'ironie est la litote - c'est à dire que l'ironie opère, comme toute pensée parfaitement maîtresse d'elle-même, a fortiori. Qui peut le plus, "à plus forte raison" peut le moins. La litote déflationniste est l'opposé diamétral de l'emphase, qui est inflation et vaine grandiloquence, et qui ne produit que du vent. Aristote considère cela comme le "défaut" d'une vertu dont l'excès s'appelerait fanfaronnade. Il arrive qu'un défaut "excessif" soit lui-même alazonique, comme l'affection d'humilité chez ceux qui s'habillent à la spartiate. Le glorieux est celui qui en dit plus qu'il ne sait, en fait plus qu'il ne peut, s'attribue plus qu'il n'a; il s'élève, celui-là, du moins au plus, à grands coups de galéjades, et opère, peut-on dire, "à plus faible raison"; sa simulation purement emphatique, la vaine enflure de ses propos l'exposent à l'ironie des autres, comme le sont les sophistes, les virtuoses de la conférence et des discours grandiloquents [...] Par opposition à ces rodomontades, ironiser, c'est parler évasivement, sans avoir l'air d'entendre ni de comprendre, ou, comme dit Cicéron, non videri intelligere quod intelligas; c'est une dissimulatio urbana, plus libérale que la grosse bouffonnerie. L'ironiste est celui que ne se compromet pas. Entre ces deux extrêmes -le défaut de l'ironiste et l'excès du matamore-, il y a place selon Aristote pour un juste milieu qui ne serait autre que le philalèthe, toujours franc et direct, qui n'est jamais ni en deçà ni au-delà; c'est un magnanime qui s'exprime sans détours. On le voit: Aristote manque déjà la finesse athénienne, ne goûte pas le sel de fausse humilité: il n'a vu l'ironie que sous son aspect privatif et lui oppose la fière morale de la "mégapsychie". Pourquoi en dire peu quand on en sait long? Ni la science, ni la vérité n'exigent qu'on se fasse moins riche, moins fort, moins intelligent qu'on ne l'est en réalité; ce Minus est un défi à la raison! Il n'y a pas de raison de se rapetisser ainsi! Moins que la vérité, c'est moins qu'il ne faudrait; moins que la vérité c'est trop peu - et le minus justo, pour parler comme Spinoza est aussi illégitime que le plus justo..."

Jankélévitch, V. 1964. L'ironie, Paris: Flammarion, pp.80-81.

Parrhèsia et Idiôtès

Castoriadis revisitant pour ses étudiants les fondements de la démocratie athénienne, s'arrêta sur la notion de Parrhèsia, qu'il définit comme "l'obligation de dire franchement ce que l'on pense à propos des affaires publiques". Il rappelle ainsi qu'au temps de Solon, un citoyen pouvait se voir retirer ses droits civiques en refusant de se prononcer. "Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile" affirma plus tard Périclès. Par opposition, Castoriadis remarque que le mot "idiot" vient d' "idiôtès", terme qui désigne "l'imbécile qui ne s'occupe que de ses propres affaires"...

Cornelius Castoriadis, 2008, La Cité et les lois. Ce qui fait la Grèce, 2 Séminaires 1983-1984.

dimanche 12 juin 2011

La Komissarjevskaia

"Je désire non pas parler de moi, mais épier le siècle, le bruit et la germination du temps. Ma mémoire est hostile à tout ce qui est personnel. Si cela dépendait de moi, je ne ferais que grimace au souvenir du passé. Je n'ai jamais pu comprendre les Tolstoï et les Aksakov, les petits-fils Bagrov, amoureux des archives familiales avec leurs épopées de souvenirs domestiques. Je le répète, ma mémoire est non d'amour, mais d'hostilité, et elle travaille non à reproduire, mais à écarter le passé. Pour un intellectuel de médiocre origine, la mémoire est inutile, il lui suffit de parler des livres qu'il a lus, et sa biographie est faite. Là où, chez les générations heureuses, l'épopée parle hexamètres et en chronique, chez moi se tient un signe de béance, et entre moi et le siècle gît un abîme, un fossé, rempli du temps qui bruit, l'endroit réservé à la famille et aux archives domestiques. Que voulait dire ma famille? Je ne sais. Elle était bègue de naissance et cependant, elle avait quelque chose à dire. Sur moi et sur beaucoup de mes contemporains pèse le bégaiement de la naissance. Nous avons appris non à parler, mais à balbutier et ce n'est qu'en prêtant l'oreille au bruit croissant du siècle et une fois blanchis par l'écume de sa crête que nous avons acquis une langue."


Mandelstam, O. 1925, 2001, Le bruit du temps, Paris, L'Age de l'Homme.

samedi 11 juin 2011

"Ce qu'universel veut dire", généalogie d'un concept

par Jean-Claude Milner

http://www.akadem.org/sommaire/themes/philosophie/1/5/module_1681.php

- De la conception grecque (universel singulier des êtres parlants) [On traduit l'universel comme étant ce qui vaut pour tous, "le très grand nombre des êtres parlants" - ce qui, par opposition, exclut le Nom condamnable qui refuse d'être "le nom de tous" (indicible si insistant). Aristote: "Tout homme est mortel". Le singulier prévaut autrement dit. Le pluriel soutient une théorie: l'histoire "des" grecs et la politique pour, par "les" grecs. Même si on élabore une théorie du pluriel, on n'y rencontrera jamais d'universel, prenant la forme de "tous les êtres parlants". La République de Platon ne fait pas cas de l'universel, sauf l'âme qui choisit son destin. Chez Aristote elle est mentionnée à travers la notion de Logique, au singulier.] Cette conception a été bouleversée par la conception Chrétienne et l'irruption de l'Eglise adossée à l'Empire qui a unifié le versant de la Logique, de l'unité, et le versant de la politique du nombre, pluriel. L'universel est devenue l'universel pour le très grand nombre, des croyants, des "êtres parlants", etc que l'on retrouve à travers la phrase de Saint Paul de Tarse: "Nous tous sommes un, en Jésus Christ". Ce passage en quelque sorte magique constitue le passage, la conversion de l'unité, de l'universel grec à la pluralité de l'universel, de tous. En ce sens quand nous faisons usage de cet universel pluriel, (tribunal de ce qui condamne tout ce qui peut y faire obstacle) ce qui n'est pas nous ne parlons pas grec, nous parlons une autre langue qui est la langue chrétienne. Tant que l'universel est placé du côté du singulier il n'y a pas de fracture entre l'universel et l'affirmation d'un Nom, "entre autres". A partir de la formule d'Aristote, incarnation de l'universel au singulier, on reconnait "la marque de la force de l'affirmation de l'homme", de son nom. L'universel singulier, aristotélicien ou platonicien, c'est "la force de l'affirmation d'un nom".
- Revenir à la conception grecque (universel singulier des êtres parlants) pour renverser la lecture d'une philosophie d'Eglise ou d'Empire (Après Alexandre, après Paul de Tarse), faire exploser la prison qui nous enferme, nous amenant à considérer exclusivement l'universel comme pluriel, synonyme du grand nombre et participant à l'affaiblissement du Nom. Usage de Benny Levy qui utilise l'héritage d'Aristote comme une arme à l'encontre de l'ennemi polinien ou alexandrin.

L'héritage éclairé d'un pays Jadis

 
"Si je voulais faire de l'ironie, je dirais que le développement historique du pays qui a vécu l'absolutisme éclairé du XVIIIe siècle l'a amené aujourd'hui au totalitarisme libéral"
 
Imre Kertesz 

mardi 7 juin 2011

Avant-signes d'une chronique


De nombreux blogs déclinent une telle image où l'auteur -Pierre Assouline en tête- porte une tasse de café à sa bouche. Sans doute annonce-t-elle ainsi une notion de temps? Un moment de la journée rattaché à la consommation du café, au petit-déjeuner, un début d'après-midi? Cela indique aussi quelque chose sur la brièveté de cet exercice d'écriture. La chronique est quotidienne, le vers et le sujet y sont libres et peuvent se déployer de manière aussi  réactive et imprévue qu'une humeur matinale. L'autre unité qui apparaît sur ces photographies est celle du lieu qui renforce encore la particularité de ce type de billet. Toutes les caractéristiques d'une conversation menée autour d'un café, les parfums d'une rumeur appréciés dans la solitude, en terrasse, à côté d'un journal ou sur les hauteurs du zinc. Des profondeurs encore ensommeillées surgit l'éveil d'une capture, suivent la gloire et la postérité du mot.